FN : la rente de situation

Les insolences d’Eric Zemmour

Le Figaro Magazine du 06/03/2015

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Les sondages s’accumulent, s’amoncellent, s’empilent. Tous donnent, pour les prochaines élections départementales, le Front national à 30 % des suffrages. Le FN, premier parti de France ! Ce qui était un cauchemar pour les uns, et un slogan hâbleur pour les autres, est devenu une réalité indiscutable. Et indiscutée. A la veille des européennes, il y a un an, on brocardait encore les audacieux qui évoquaient l’émergence d’un nouveau tripartisme ; désormais, on cherche avidement les contours d’un nouveau bipartisme dont le FN serait le pôle stable.

Les commentateurs et les politiques se pressent pour interpréter, expliquer - sans oublier de déplorer - cet incompréhensible mais irrécusable avènement. Alors, chacun de chercher, de creuser, de théoriser, de livrer sa clé.

L’Europe ? Le déficit démocratique ? La santé arrogante de l’Allemagne ? Le discrédit des politiques ? L’usure des institutions ? Le rapprochement des politiques de la droite et de la gauche ? Le chômage de masse ? Des jeunes ? Des vieux ? L’insécurité ? L’Euro ? La crise de 2008 ? La gauche qui n’est plus la gauche ? Sarkozy qui n’est plus Sarko ? La pusillanimité des réformes ? Le libéralisme ? L’islamophobie ? La vieille tentation pétainiste de la France ?

France du repli, France moisie, France rance… Pourtant, la dernière étude du Cevipof confirme d’autres enquêtes : pour 70 % des sondés, il y a trop d’immigrés. Depuis trente ans, le Front national prospère sur cette douloureuse mais simple évidence. Peu importe que ce regard hostile mélange, au grand dam des statisticiens, des juristes et des bien-pensants, étrangers et enfants d’immigrés. Car ce consensus massif, tous les observateurs du « système » ont choisi de ne pas l’observer. De détourner le regard. D’interdire jusqu’aux mots qui l’expriment. Ce que François Mitterrand appelait naguère le « seuil de tolérance » est désormais intolérable aux oreilles des bons esprits. « Français de souche » aussi, sauf lorsqu’il s’agit de les dénigrer. Personne ne veut voir ce qui crève les yeux. Même le FN de Marine Le Pen et Florian Philippot a tendance à regarder ailleurs, vers Athènes, Bruxelles, Francfort, tandis que leurs militants leur crient sans se lasser, comme pour les ramener à la seule réalité politique : « On est chez nous. » Pour l’instant, Marine Le Pen joue efficacement sur les deux tableaux. Elle est convaincue non sans raison que l’héritage de son père – et ses provocations  antisémites – est un boulet alors que ce sont les prophéties de son paternel sur les conséquences funestes de l’immigration qui lui assurent une rente de situation, confortée par les attentats récents. Ce qu’elle est parle plus que ce qu’elle dit.