Sarkozy, chef de famille moderne

Les insolences d’Eric Zemmour

Le Figaro magazine du 13/02/2015

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L’âne de Buridan est mort de faim et de soif à force d’hésiter entre son picotin d’avoine et son seau d’eau. Dans l’entre-deux-tours de la législative partielle du Doubs, c’est Nicolas Sarkozy qui a conquis de haute lutte le bonnet de l’âne de Buridan. La concurrence était pourtant sévère avec Alain Juppé ou NKM, appelant à voter pour le socialiste tout en refusant le front républicain. Mais Sarkozy les a tous surpassés avec son « ni-ou ». Sa manière de défendre la liberté de vote pour faire barrage au FN a suscité au pire le sarcasme, au mieux l’incompréhension. Son obsession du rassemblement de la famille a révélé ses faiblesses. Un chef de famille donne la direction et l’impose avec autorité ; « un chef doit cheffer », disait Chirac ; mais Sarkozy est un chef de famille moderne, c’est-à-dire qu’il n’est pas un chef et qu’il n’y a plus de famille. Comme un père d’aujourd’hui, il ne veut pas être obéi, mais aimé. C’est pourquoi il perd sur les deux tableaux.

Or, ses électeurs sont en voie de rébellion contre cet héritage soixante-huitard. Et Sarkozy ne semble plus le comprendre depuis que Patrick Buisson n’est pas là pour le lui expliquer à longueur de journée. De même pour ses conférences grassement rémunérées dans les pays du Golfe qui donnent de lui une image de golden boy. Louis XIV ne donnait pas des conférences rémunérées ; et l’argent du Golfe sent désormais la mort depuis les crimes de Kouachy et Coulibaly. Mais Sarkozy se rêve en Tony Blair ou en Clinton, pas en Louis XIV. Il se croit moderne, alors qu’il est désuet.

Ses électeurs lui reprochent encore son quinquennat, l’ouverture aux socialistes et sa pusillanimité en matière d’immigration, alors qu’il ne songe qu’à retenir les centristes à ses côtés. Il redevient ce qu’il fut naguère, au temps de Balladur et de Chirac, un tacticien, pas un stratège ; un « lapin Duracell » à l’énergie inépuisable, mais sans ligne directrice, brûlant ce qu’il adorait la veille, adorant ce qu’il brûlait. Depuis qu’il est arrivé Rue de Vaugirard, il n’est pas à ce qu’on dit, selon la célèbre réplique des Tontons flingueurs. La fonction de président de l’UMP l’ennuie ; il se demande ostensiblement ce qu’il fait là ; et cela se voit. Sarkozy n’a plus son appétit vorace d’antan ; il ne veut pas devenir Président, mais le redevenir. Deux lettres qui changent tout. Giscard a déjà raté ce que tente Sarkozy. Et quand Napoléon est revenu de l’île d’Elbe, il surprit ses anciens maréchaux par ses hésitations et ses états d’âme inusités. La machine à décider connaissait le doute. On connaît la suite.