L'éditorial de Franz-Olivier Giesbert

M. Sarkozy et les juges de France


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Le Point  du 19 avril 2015


La justice de ce pays est totalement indé­pendante. Nous en avons la preuve tous les jours avec les « affaires » qui tombent, comme les balles à la bataille de Gravelotte (1870), sur Nicolas Sarkozy et ses proches les plus proches. Elles sont si nombreuses qu'au train où vont les choses tous risquent de devenir bientôt transparents : on verra à travers.


Longue est la liste des sarkozystes inquiétés par la justice pour de sombres histoires d'argent et qui sentent le soufre, sinon le roussi: le couple Balkany, ses deux meilleurs amis; les Guéant père et fils ; l'extra­ordinaire M. Buisson, qui, pour un peu, ferait passer Marine Le Pen pour une femme de gauche. Mais brisons là. Cette page ne suffirait pas s'il fallait citer toutes les mises en examen de la sarkozie.


Que les juges et les journalistes en fassent trop, c'est possible. Mais, apparemment, ils ont trouvé quelques os sans lesquels ils ne pourraient re­muer tant d'air et de terre. On peut tourner la chose dans tous les sens, l'affaire Bygmalion est bien un scandale d'Etat, qui met en lumière le truquage éhonté, pour de grosses sommes, des comptes du candidat de l'UMP lors de la campagne présidentielle de 2012. C'est ce qu'on appelle, pour rester gentil, des moeurs de répu­blique bananière.


Y a-t-il un complot ou un acharnement du pouvoir contre le successeur de M. Copé à la tête de l'UMP, comme le laisse entendre une partie de la droite? Rien n'est moins sûr. Les sarkozystes ont beau se lamen­ter comme des bêtes d'abattoir, ils ont grand-peine à nous faire croire qu'il s'agit là d'une opération concertée. Pour une raison toute simple: la mise hors jeu de leur héros providentiel n'est pas du tout dans l'intérêt de la gauche. De son point de vue, ce serait même une catastrophe.


François Hollande souhaite se retrouver en face de Nicolas Sarkozy pour la présiden­tielle de 2017: c'est un secret de Polichinelle. En petit comité, il ne s'en cache pas, le chef de l'Etat répète qu'il préférerait, de loin, rejouer le match avec son pré­décesseur que d'avoir à affronter des gaullo-centristes comme Alain Juppé, François Fillon et quelques autres qui auraient tôt fait de le balayer comme une rognure de parquet.


La France est prête pour les grandes réformes structurelles, tous les sondages le confirment. Elle a simplement besoin de grandes figures pour les porter. Or, sur ce terrain, l'ancien président n'est pas le mieux

placé, tant s'en faut: ce n'est pas son genre de beauté. S'il met volontiers le taureau en furie, il se garde toujours de le prendre par les cornes.


Nicolas Sarkozy a certes encore du charisme, mais il est trop clivant. Trop mécanique, aussi, et pas très perspicace ni, que les sarkozystes me pardonnent, très courageux. La France est l'un des pays qui travaillent le moins dans le monde, si l'on compte en heures annuelles. Que l'ancien président ait décidé, si la droite l'emporte, de maintenir les 35 heures, notre fléau économique national, notamment pour les PME, c'est bien le signe qu'il n'a pas tiré les leçons de son quinquennat, où les ré­formes se comptèrent, et encore, c'est généreux, sur les doigts d'une seule main. De grâce, un peu d'audace!

Quant aux recettes électorales de M. Sarkozy, si elles ont pu payer autrefois, elles sont aujourd'hui dépassées. Ainsi, pour siphonner le Front national, l'ancien pré­sident croit toujours nécessaire de «buissonner » dans les eaux sales de la droite de la droite, une vieille straté­gie qui ne peut fonctionner comme avant, à l'heure où le FN a trouvé sa place dans le tripartisme, le nouveau cadre de la démocratie française.


L'art de la politique consiste à susciter le désir. Naguère, M. Sarkozy a su le faire avec un talent à nul autre pareil: c'était même un professionnel de la chose. On ne lui fera pas le procès d'être un homme du passé, il n'y a à peu près que ça en magasin aujourd'hui. Ses principaux handicaps: le souvenir de sa présidence reste encore très frais et lui-même est trop inchangé, figé dans son jus, pour pouvoir nous faire croire, comme il y a dix ans, à des lendemains qui chantent.

La claque médiatique de M. Sarkozy a beau l'encen­ser sans cesse, même les jours de congé, l'ancien pré­sident n'est pas arrivé au bout de son chemin de croix. Les victoires continuelles de l'UMP aux élections inter­médiaires n'y changeront rien. Elles n'ont pas empêché la chute de M. Copé. De plus, verrouiller un parti ne suffit pas, comme l'a prouvé ce dernier par l'absurde.


S'il est volontiers amnésique, le peuple fran­çais est rarement dupe. En attendant l'échéance de 2017, il est donc dans cette phase où, tel le maquignon, il tâte et soupèse avant, peut-être, de sortir de son cha­peau une personnalité nouvelle à la François Baroin.

L'ironie de la situation est que, d'une certaine fa­çon, M. Hollande tient maintenant entre ses mains le destin de M. Sarkozy. Même s'il aimerait remettre son vieux rival en selle, on a quand même peine à croire qu'il sera en mesure de lui arrangerle coup avec les juges de France.


Le Point  19 avril 2015