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Bruno Le Maire: "La politique est menacée de momification"


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huffingtonpost.fr - Publication: 02/04/2015


L'ancien ministre UMP Bruno Le Maire prône une rénovation "radicale" des pratiques politiques pour résoudre la crise de la démocratie participative


INTERVIEW - Alors que la gauche se prend les pieds dans le tapis du pouvoir, la droite républicaine est-elle prête à relever le défi de l'alternance? Si le triomphe de l'UMP aux élections départementales a pu alimenter dans ses rangs le fantasme d'une victoire mécanique en 2017, les défis qui l'attendent dans les mois à venir sont considérables.

De l'aveu même d'une partie de ses cadres, la formation politique n'a pas tiré les leçons de son échec de 2012. Malgré le rassemblement qui s'est imposé avec le retour de Nicolas Sarkozy, l'UMP n'a jamais été aussi divisée. Seuls 5% des Français considèrent qu'elle est unie. Et les affrontements de la primaire de 2016 ne devraient pas arranger les choses.


Que répondre dans ces conditions aux 71% de Français qui ne croient plus dans la qualité de leur démocratie? En misant sur un "renouveau" radical des pratiques politiques, plaide Bruno Le Maire. Tandis que Nicolas Sarkozy et d'autres s'accrochent encore au cumul des mandats, "BLM", la révélation de la dernière course à la présidence de l'UMP, préconise un toilettage général des partis et des institutions. Mandat unique, réduction du nombre de députés, fin du paritarisme... Des propositions-couperet censées guillotiner la "monarchie technocratique" qu'il dénonce.


LE HUFFPOST: Un Français sur deux ne vote plus, un sur huit vote FN, 71% doutent de leur démocratie: la crise politique est-elle systémique?

BRUNO LE MAIRE: Je partage depuis plusieurs années le constat qui est fait par les Français. Nous assistons à une crise profonde de la démocratie représentative française. Notre démocratie n'est plus une démocratie ; c’est une monarchie technocratique. Le sens de mon action depuis 2012, c'est précisément de rendre le pouvoir au peuple français.

Partant de là, trois options s'offrent à nous. Celle qui consiste ne faire que du cosmétique sans toucher au coeur du problème. Celle de passer de la Ve à la VIe République, ce qui à mon sens est un leurre. Et celle, la seule bonne option à mes yeux, qui consiste à identifier les points de blocage qui paralysent la démocratie française et à les lever un à un.

C'est là que ça fait mal et c'est pour cela qu'on ne le fait pas.


N'y a-t-il pas un paradoxe à voir un ancien énarque, normalien, haut fonctionnaire, ministre pendant 4 ans... Bref, à voir un pur produit du système vouloir incarner le renouveau démocratique d'un peuple qui rejette ce système?

Disons les choses clairement: je suis un pur produit du système. Je ne renie ni mes diplômes ni mes études qui m'ont demandé des sacrifices considérables. Mais il faut être un pur produit du système pour comprendre comment on a confisqué le pouvoir aux Français et pour réformer ce système en profondeur.


Vous étiez ministre et puis vous vous êtes rendu compte que cela ne servait à rien?

La prise de conscience a été progressive. Je me suis aperçu au fur et à mesure que notre système ne faisait que reproduire le pouvoir des élites sans transformer la France. C'est un système qui tourne à vide et qui n'embraye plus sur la réalité des Français. Je l'ai vu comme directeur de cabinet du premier ministre [Dominique de Villepin, NDLR]. Je l'ai vu avec encore plus d'acuité en tant que ministre de l'Agriculture.

Le point culminant de cette prise de conscience a été ma démission de la fonction publique. J’ai renoncé à un statut, à un emploi à vie, à un revenu et une retraite confortables. J'y ai renoncé parce qu'on ne peut transformer le système que si l'on accepte soi-même de se dépouiller de tous ses avantages.


Certains élus pensent que ce sont les Français le principal point de blocage, que la France est irréformable...

Pour demander aux gens de changer, il faut avoir la légitimité pour le faire. Or la première légitimité, c'est de changer soi-même. A ces élus qui disent aux Français qu'il faut changer mais qui gardent leurs privilèges, les Français répondent: "Circulez!". Je les trouve même patients à l'égard de leur classe politique.

J'ai identifié trois principaux blocages dans la démocratie française: un problème de représentativité, d'efficacité et de transparence. Voici les trois noeuds qui expliquent pourquoi les Français se détournent à ce point de la vie politique.


En matière de représentation, vous avez une dent contre les fonctionnaires...

Absolument pas, je respecte les fonctionnaires, mais je n’accepte pas que les hauts fonctionnaires, garants de l’indépendance de l’Etat, puissent s’engager dans la politique, donc prendre des positions partisanes. Les hauts fonctionnaires doivent faire un choix : soit la haute fonction publique et l’indépendance de l’Etat, soit un engagement politique et par conséquent la démission de la fonction publique.

Si l'on a donné l'emploi à vie aux fonctionnaires, c'est justement pour garantir leur indépendance. Relisez les textes de la fonction publique. Ils sont clairs : la garantie de l’emploi à vie et là pour protéger les fonctionnaires de toute influence politique. Comment expliquer le mélange des genres auquel nous sommes parvenus aujourd’hui ? Comment expliquer que les hauts fonctionnaires vampirisent le gouvernement de la France ? Il y a là un dévoiement total de la République.

Par ailleurs, faire de la politique, c'est prendre un risque majeur qui est de perdre son emploi dans un pays qui a plus de 10% de chômage. Pour les salariés, les ouvriers, les cadres, les professions libérales, le risque est donc trop important. Du coup, qui peut faire de la politique? Les fonctionnaires et les "élus de carrière".

C'est là que la démission de la haute fonction publique constitue le point névralgique du renouvellement de la classe politique. Évidemment, ce n'est pas à l'instituteur ou à l'infirmière mais aux énarques de donner l'exemple. Aujourd'hui le gouvernement de la France, ce sont des copains d'une promotion de l'ENA. Cela me révolte.

Ma proposition est simple: toute personne issue de la haute fonction publique qui est élue en France doit être radiée définitivement de ses rangs, sans possibilité de retour.


Comment allez-vous convaincre les salariés du privé de s'engager?

Tout ce qui permettra d’ouvrir le Parlement à la diversité sociale ira dans le bon sens. Certaines grandes entreprises mettent en place la possibilité pour leurs salariés de revenir avec un emploi une fois qu'ils ont exercé un mandat législatif ou municipal. Il faut réfléchir à une généralisation. J'appellerais cela un "congé engagement politique", comme il y a des congés maternité et paternité.


Mais sans garantie pour la représentation des minorités visibles...

Je refuse de traiter ce problème par les statistiques ethniques ou les quotas. Pour accélérer les choses, il est impératif de limiter les mandats dans le temps. Sans quoi il faudra attendre deux ou trois générations pour voir émerger un autre visage de la République. Ma proposition: limiter à trois dans le temps le nombre de mandats d'un député sénateur ou d'un député. Là encore, c'est d'en haut que doit venir l'exemple. Et cela entraînera un renouvellement de la vie politique considérable.


Pourquoi alors avoir voté contre la fin du cumul des mandats?

Je fais de la politique pour porter un changement radical. Supprimer le cumul sans traiter la question du rapport entre la haute fonction publique et la politique, cela ne m'intéresse pas. Je refuse la politique des petits pas. Nous avons besoin d’un vrai changement démocratique en profondeur.

"On ne peut transformer le système que si l'on accepte soi-même de se dépouiller de tous ses avantages."


Vous prônez le non-cumul dans le temps alors que vos amis refusent encore le non-cumul des mandats...

Pour que les choses soient claires: ma proposition, c'est un mandat / un salaire. Et je mettrai moi-même en application ce principe. Je n'ai jamais cumulé ma fonction de parlementaire avec celle d'un exécutif local. Mais je suis député et conseiller régional. Et je vois bien que cela crée une incompréhension. J'en tire les conséquences : je ne serai pas candidat sur la liste de mon parti pour les régionales en Normandie en décembre prochain.

Mais tout ce que je vous dis n'a de sens qu'à la condition d'une indispensable revalorisation de la fonction parlementaire. La révolution que je porte n'est pas populiste. C'est remettre la démocratie debout.


En réduisant le nombre de parlementaires?

Il faut 400 députés et deux sénateurs par département, soit 202 sénateurs. Tout cela est amplement suffisant. En revanche, je veux revaloriser les mandats parlementaires. Il faut un seul salaire, entièrement imposable et de bon niveau qui permette aux députés et sénateurs de vivre dignement de leur fonction. Il faut qu'ils aient davantage de moyens matériels et humains pour faire correctement leur travail législatif et de contrôle de l'exécutif. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Démission des hauts fonctionnaires, réduction à trois du nombre de mandats dans le temps, mandat unique, réduction du nombre de parlementaires... Sur tous ces points, il faudra engager un référendum dès 2017. C'est la seule solution.


Vous évoquiez précédemment une limitation des mandats syndicaux. Quel est le rapport?

Oui, je veux aller plus loin. Si le pouvoir politique est confisqué par les élites, le pouvoir économique est lui aussi confisqué par les syndicats dont la représentativité est faible et qui bloquent les décisions nécessaires.


Vous mettez la CGT, la CFDT et le Medef dans le même sac?

Mon constat est simple : le paritarisme est mort. Il ne produit pas les changements sociaux et économiques vitaux. Je crois à un syndicalisme fort et responsable mais pas tel qu'il existe aujourd'hui. Cela ne sert à rien de changer la classe politique si vous ne changez pas non plus les syndicats en place.

Je crois qu'il faut limiter les mandats syndicaux à deux. Et je souhaite que n'importe quel salarié puisse se présenter à n'importe quel stade d'une élection syndicale. La primauté accordée aux syndicats représentatifs doit disparaître à tous les niveaux.


Cela revient à dynamiter la représentation syndicale dans les entreprises...

Je veux rendre le pouvoir au peuple français et dynamiter tout ce qui est confiscation de ce pouvoir par des élites politiques ou syndicales.

Je ne fais aucun antisyndicalisme. Au contraire, je combats la faiblesse de la représentation syndicale qui tient aux modalités de vote. Je combats également la politisation des syndicats qui est contraire aux intérêts des salariés. Quand je vois que des syndicats se sont prononcés contre un candidat en 2012, cela me choque. Les syndicats n'ont pas à être des partis de substitution. Il est temps de redonner le pouvoir syndical à ceux qui s'intéressent réellement aux intérêts des salariés et non à ceux qui se positionnent en faveur de la lutte des classes.


Comment comptez-vous vous y prendre pour en finir avec le paritarisme?

Commençons par acter son décès. Sur l’indemnisation du chômage, les résultats du paritarisme sont minimes. Et son bilan depuis dix ans, c'est zéro par rapport à ce qu'il faudrait faire.

Tirons le bilan de l'obligation préalable de négociations avec les syndicats institué par la loi de modernisation du dialogue social: cela ne marche pas, cela conduit à déresponsabiliser le pouvoir politique. Au nom de l'efficacité, les politiques qui ont reçu un mandat du peuple doivent l’exercer en prenant leurs responsabilités et décider des changements économiques et sociaux indispensables pour le pays.


Ne risquez-vous pas de mettre le feu au pays en coupant court à toute discussion?

Le problème en France c'est qu'on discute trop et qu'on ne dialogue pas assez. Oui au dialogue constructif avec des organisations syndicales représentatives et fortes. Non aux discussions interminables qui ne mènent nulle part. Nous avons des problèmes urgents à traiter : code du travail, allègement de charges, indemnisations chômage, sortie définitive des 35 heures... Je ne veux pas que la droite reprenne le pouvoir sur un malentendu. A force de faire de la discussion un préalable, il n’y a plus de véritable discussion et surtout plus de décision. La droite doit tenir parole. Elle doit dire ce qu’elle veut faire et surtout comment et avec quel calendrier.


S'il y a un point commun à tous les partis de gouvernement, c'est justement que ce qu'ils promettent voit rarement le jour une fois au pouvoir...

C'est la clé de tout et c'est ce qui explique la radicalité de ces propositions. Aujourd'hui, personne ne nous écoute puisque tout le monde se dit: "de toutes façons ils ne le feront pas."


Le premier défi, c'est celui des délais. Le rythme de la démocratie n'est plus en adéquation avec les attentes des Français. J'ai évoqué le blocage des discussions syndicales. Balayons aussi devant notre porte: le fonctionnement même de notre Parlement est totalement obsolète. Il faut revoir de fond en comble les procédures législatives pour en finir avec ces discussions qui durent des heures. Accélérer ne veut pas dire précipiter mais recentrer les débats sur les intérêts des Français.

Gouverner c'est aussi choisir. Il faut en finir avec ces programmes cathédrales et s'en tenir à quelques mesures centrales pour être certain de toutes les tenir. La méthode de gouvernement qui est la mienne, c'est prendre peu de décisions, mais les prendre rapidement et les défendre jusqu'au bout. Il faut également contrôler la décision publique a posteriori. Aujourd'hui, on vote une loi et on s'en satisfait. Mais qui contrôle son efficacité?


La Cour des Comptes quand même...

Nous y reviendrons. Un véritable suivi de la mise en œuvre des lois et du respect des promesses, cela n'existe pas. J'ai le souvenir d'une visite en juillet 2010 avec le président Sarkozy. Des agriculteurs réclament des retenues collinaires au chef de l'Etat pour faire pousser des fraises. Bon pour accord. Un an plus tard, rien ne s'est passé. Pas même une étude de faisabilité. Comment voulez-vous que les Français croient en la parole politique?


Ce qui me frappe, c'est qu'il faille l'avis du président de la République pour faire pousser des fraises. N'est-ce pas le vice du jacobinisme à la française?

Non, le vice c'est la déresponsabilisation de tous les responsables politiques. En rendant le pouvoir aux Français, on leur rend aussi la responsabilité de la décision. Sur le barrage de Sivens par exemple, le dialogue doit se faire entre les agriculteurs, les riverains et les associations pour la défense de l’environnement, mais la décision appartient au conseil départemental. Cette décision doit être respectée au lieu de remonter à la ministre de l'Ecologie.

C'est aussi pour cela qu'il faut un gouvernement avec peu de ministres pleins et stables sur la durée afin qu'ils gardent le contrôle de leur administration. Ces deux sphères vivent aujourd'hui chacune de leur côté, le politique dirigeant avec son cabinet et l'administratif attendant patiemment que le ministre change de poste pour passer à autre chose. Il faut réduire le nombre des conseillers par ministre et laisser le politique reprendre le contrôle de son administration.


Vous avez eu l'air de relativiser le pouvoir de contrôle de la Cour des Comptes?

Elle fait un travail formidable. Le drame, c'est que ses rapports ne sont jamais suivis d'effet. Deux propositions: soit on lui donne un pouvoir contraignant; soit on crée un système d'audit privé pour garantir le suivi des lois. Comment accepter qu'on dépense 2 milliards d'euros pour les enfants en difficultés pour un résultat proche de zéro. C'est parce qu'il n'y a ni autorité ni responsabilité que le populisme s'épanouit en France.


Le populisme s'épanouit aussi sur l'opacité d'un système politique dont les Français découvrent parfois avec effroi l'envers du décor. En matière de transparence, sommes nous face à une « démocratie paparazzi » ou sur la bonne voie?

Qu'on fasse la transparence sur les patrimoines, d'accord. Mais il faut pousser la réflexion sur le conflit d'intérêt pour ne pas interdire à des avocats, des professions libérales de pratiquer un mandat. Il faut encadrer clairement le conflit d'intérêt et permettre aux parlementaires d'exercer une autre profession.

Enfin, la vraie transparence, c'est la transparence administrative via l'open data. Quels sont les chiffres de l'immigration, les estimations de l'immigration clandestine, les évolutions de la délinquance? Le citoyen est devenu adulte et il est informé comme jamais. Donnons lui les chiffres plutôt que de les dissimuler.


Vous croyez que la technologie peut sauver la démocratie représentative?

Depuis Aristote, la démocratie, c'est toujours représenter le peuple. Nous vivons certes une révolution de la connaissance dont la seule comparaison valable est l'imprimerie de Gutenberg. Cela ne change rien à l'essence de la politique mais tout à sa pratique. Les perspectives de revitalisation de la démocratie sont considérables. J'ai participé à une initiative Parlement & Citoyen qui consiste à coélaborer une loi avec des Français. Le coeur de cette révolution est que les gens ont plus de savoir qu'auparavant et sont donc davantage aptes à participer à la décision politique.

Par conséquent, ce vieux modèle vertical où le chef sait mieux que les autres parce qu'il a accès au secret, c'est fini. C'est le modèle autoritaire et énarchique sur lequel on vit depuis 40 ans. La gouvernance de demain, c'est au contraire une gouvernance horizontale dans laquelle les citoyens sont amenés à participer à la décision. Mais, cette gouvernance n'est viable que si l'on rétablit une autorité légitime et efficace.

Il faut donc ouvrir grands les portes au lieu de tout cadenasser. L'énorme risque pour la vie politique française, c'est la momification.


http://www.huffingtonpost.fr/2015/04/02/bruno-le-maire-vie-politique-menacee-momification-interview_n_6959178.html