MOUVEMENT INITIATIVE ET LIBERTE

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Vigilance & Action - n°308 et 309 - janvier et février 2015

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« L'ESPRIT DU 11 JANVIER »

UNE IMPOSTURE POUR CACHER LES VRAIS PROBLÈMES

par Jacques ROU­GEOT, professeur émérite à la Sorbonne, vice-président du MIL


La France vient de vivre l'une de ces pé­riodes d'exacerbation émotionnelle dont elle a le secret. On a vu se produire, en effet, un événe­ment qui n'était pas imprévisible en lui-même, mais dont les suites ont dépassé toute imagina­tion. Il y avait assez longtemps que les condi­tions étaient réunies pour qu'un attentat terro­riste pût éclater : abondance d'armes de guerre dans certains locaux et nombre de plus en plus important d'ennemis de l'intérieur bien entraînés et décidés à s'en servir. Nos forces de sécurité ont déjoué de nombreuses tentatives, mais il était presque inévitable que l'une finît par réus­sir. Il est d'autant plus nécessaire d'analyser les faits et d'essayer d'expliquer l'énorme décalage qui existe entre eux et la façon dont ils ont été exploités, avec des conséquences surprenantes qui n'ont sans doute pas encore fait sentir tous leurs effets. On le fera ici de façon aussi ration­nelle que possible, éventuellement avec une certaine crudité, sans trop se soucier des con­venances sentimentales d'une vérité officielle ressassée ad nauseam.


Un événement surdimensionné

Ce qui frappe d'abord, c'est le gonflement, l'hypertrophie des faits dans la façon dont ils sont exprimés ou représentés. C'est ici que l'on risque de choquer, mais, si l'on regarde la réa­lité en face, il faut constater que, avec dix-sept victimes, les attentats des 7, 8 et 9 janvier sont loin d'être les plus meurtriers du genre. Il suffit de rappeler celui de la gare de Madrid, qui avait fait quelque deux cents morts et plusieurs cen­taines de blessés. L'émotion avait certes été considérable, mais elle n'avait pas provoqué la mobilisation de cinquante hauts dirigeants du monde entier. Le contraste est encore plus fla­grant si l'on se réfère à ce qui se passe en Afrique où, presque quotidiennement, ce sont des dizaines, voire des centaines de personnes qui sont victimes du terrorisme islamiste et qui n'ont droit qu'à quelques lignes en page inté­rieure des journaux.

Curieusement, tout se passe comme si, dans l'appréciation de la gravité des actes terro­ristes, des considérations en quelque sorte qua­litatives venaient s'ajouter au dénombrement des victimes. En France même, la quasi-totalité des mentions et des commentaires portent sur la mort des dessinateurs de Charlie Hebdo. Beaucoup moins sur les juifs de l'Hyper Cacher, et encore moins sur les policiers. Tout naturel­lement, le slogan officiel a été «Je suis Charlie». Pas question de forger un slogan «Je suis juif» ou «Je suis policier ». Il semble qu'il y ait une hiérarchie implicite dans l'intérêt suscité par les victimes des terroristes. Dans cette hiérarchie, il faut remarquer que les Africains arrivent très loin en dernière position. Faut-il voir là quelque racisme refoulé jusqu'au tréfonds des grandes consciences antiracistes ?

A propos de ces subtilités, faisons un peu d'actualité-fiction. Imaginons que, au lieu des dessinateurs de Charlie Hebdo, les victimes se soient appelées Zemmour, Finkielkraut ou Houellebecq : aurions-nous eu droit aux mêmes émotions officielles, aurions-nous vu fleurir des «Je suis Zemmour» ? Evidemment, on souhaite n'avoir jamais la réponse dans les faits, mais on peut tout de même se faire une petite idée.

Revenons au quantitatif : quelle a été l'importance de la manifestation ? D'habitude, les chiffres des organisateurs et ceux du minis­tère de l'intérieur présentent des différences considérables. Cette fois-ci, ils coïncident par­faitement, puisque le ministère est en même temps l'organisateur. La doctrine a varié au cours de l'après-midi. On a d'abord dit qu'il était impossible d'évaluer le nombre des manifes­tants, tant ils étaient nombreux. Mais, à la ré­flexion, on s'est arrêté sur le chiffre de 3.700.000  dans toute la France. A la louche, manifestement. On ne saura jamais quel était le chiffre réel, sinon qu'il est important, mais à coup sûr inférieur au chiffre officiel.

Autre effet de disproportion, d'un genre tout différent, entre la réalité et sa représentation : les commentaires dithyrambiques sur l'attitude du président de la République, du premier mi­nistre et du ministre de l'intérieur. Ils ont fait et dit ce qu'il fallait, ils ont fait un sans faute, ils ont incarné l'unité nationale, les accents les plus ly­riques se trouvant dans les propos venus de la droite. Il est vrai que ces personnalités n'ont pas commis de fautes, mais, au risque de paraître mauvais joueur, on peut se demander quelles fautes ils auraient risqué de commettre. La si­tuation leur était apportée sur un plateau. S'il s'agit de l'action sur le terrain, le mérite en re­vient aux forces de sécurité, qui ont fait leur tra­vail avec tout le professionnalisme requis. Au­trement, les hommes du pouvoir auraient-ils pu faire autrement que de condamner le terrorisme et appeler à l'unité nationale, dont ils sont d'ailleurs les grands bénéficiaires ? Des esprits mal intentionnés pourraient dire qu'on est si ha­bitué à voir Hollande commettre des bourdes qu'il suffit qu'il n'en fasse pas pour qu'on crie à la merveille.

Mais soit ; rendons pleine justice à notre président : s'il a fait preuve de savoir-faire, c'est dans le domaine de la communication. Pour une fois, on sera d'accord avec une formule de Jacques Attali, disant que François Hollande avait bien géré la mise en scène d'une tragédie. C'est mieux que rien, mais convenons que, pour un président de la République, c'est un mérite vraiment mineur.


Manifestation du 11 janvier : ambiguïtés et déformations

Même s'il y a eu moins de participants que ne le disent les chiffres officiels, il est certain qu'elle a rassemblé beaucoup de monde et qu'elle a suscité un élan émotionnel et senti­mental. Ces qualificatifs sont vagues, mais il est difficile d'aller beaucoup plus loin dans la préci­sion. Il est donc difficile de dégager une signifi­cation claire de ce grand rassemblement.

Les mobiles des manifestants étaient sans doute assez divers. On ne s'avance pas beau­coup en disant que le point commun à tous était d'affirmer une hostilité résolue au terrorisme et une volonté de n'y pas céder. C'est une évi­dence, mais il est bon de la réaffirmer, car le ter­rorisme ne possède, objectivement, qu'un pou­voir de nuisance limité, surtout dans un pays comme la France, où les forces de l'ordre sont de grande qualité. Comme son nom l'indique, il ne peut agir que par la terreur, c'est-à-dire qu'en créant une peur collective disproportionnée à la menace réelle et paralysant la volonté de dé­fense. De telles conditions ne sont heureuse­ment pas réunies en France.

Au-delà, on entre dans des supputations psychologiques quelque peu subjectives. Cer­tains ont participé à la manifestation en obéis­sant à un mouvement un peu grégaire bien connu qui fait que, en cas d'alarme, on se réfu­gie sous l'aile protectrice du pouvoir en place. D'autres ont voulu exprimer leur hostilité à l'islamisme, voire à l'islam. D'autres encore, beaucoup peut-être, ont été habités par di­verses sensations confuses. Le chant souvent repris de la Marseillaise et les ovations répétées aux forces de l'ordre s'accommodent de toutes ces hypothèses à la fois. On verra peut-être plus tard, après une période de décantation, s'il se dégage de ces tendances éparses une ré­sultante clairement orientée.

Non moins que les mobiles des manifes­tants, ceux des abstentionnistes résolus nous amènent à nous interroger. Ils se répartissent sans doute dans deux camps diamétralement opposés. Pour les uns, il s'agissait de faire sa­voir qu'ils ne désavouaient pas vraiment, ou pas du tout, l'assassinat des dessinateurs, alors que d'autres se refusaient à cautionner une union nationale jugée frelatée sous l'égide du pouvoir socialiste.

Le slogan officiel, «Je suis Charlie», ne fai­sait qu'ajouter à la confusion, à la fois par sa forme et par son interprétation. S'agissait-il d'exprimer une adhésion personnelle, et même une assimilation intime, à un journal spécialisé dans la provocation et dans la dérision de toutes les valeurs traditionnelles jusqu'au dernier degré de la grossièreté, de la pornographie et de la scatologie ? S'agissait-il d'un hommage senti­mental à des victimes ? Ou bien fallait-il donner à cette formule une valeur vague, générale et passe-partout d'attachement à la liberté d'expression ? Cette confusion, habile dans un premier temps par son caractère attrape-tout, peut aussi produire, à la longue, un effet répul­sif.

Au-delà de ces ambiguïtés, on a assisté à une présentation quasi systématiquement dé­formée de la réalité physique de la manifesta­tion de la part des médias, et particulièrement des chaînes de télévision. En effet, les com­mentaires insistaient à satiété sur le caractère mêlé des manifestants, réunissant toutes les origines, toutes les couleurs, toutes les appa­rences, tous les types sociologiques. C'est ce que disaient les paroles, mais c'est ce que ne montraient pas les images, ce qui est curieux pour des reportages télévisés. Sur les plans larges comme sur les plans plus resserrés, on était bien obligé de constater la présence mas­sive des manifestants «gaulois». On nous a ex­pliqué après coup que les autres ne se distin­guaient pas à la vue. Explication paradoxale : comment se fait-il que ceux que l'on désigne par l'euphémisme pudique et officiel de minorités vi­sibles aient été presque invisibles dans cette manifestation tout en y étant prétendument pré­sents ? Notre perplexité s'accroît lorsqu'on songe que ces minorités peuvent être effecti­vement très nombreuses, très visibles et très audibles si elles ont à cœur de fêter sur les Champs-Elysées la victoire de telle ou telle équipe étrangère.

On a voulu faire de la manifestation du 11 janvier l'expression et le symbole d'une unité nationale presque miraculeusement retrouvée. En fait, il faut ramener l'événement à sa vraie nature et à ses justes proportions. Il s'agit d'une effusion sentimentale et émotionnelle qui ne saurait constituer le socle du redressement de la France, car elle comporte en elle-même des équivoques irréductibles et elle est altérée par des déformations à des fins de récupération partisane et par le refus de voir la réalité en face.


Eluder les réalités qui dérangent

On sent bien que, dans la situation de la France, des échéances décisives se rappro­chent. Au lieu de se préparer à les affronter, une partie de la classe politique, essentiellement le pouvoir socialiste, préfère se voiler la face. C'est le réflexe bien connu : «Encore une minute, monsieur le Bourreau».

Une première recette consiste à faire comme si l'on pouvait continuer à jouer au jeu que l'on connaît, celui de la petite politique. On feint de se mettre au niveau des événements graves, mais en fait, on s'efforce de les utiliser pour en tirer bénéfice. C'est à quoi l'on assiste aujourd'hui. Le pouvoir socialiste dirige tous les projecteurs sur la nécessité de l'unité nationale avec un double objectif : faire oublier les vrais problèmes de la France (économiques, socié­taux, identitaires, etc.) et condamner au silence l'opposition politique en assimilant toute critique un peu vive du gouvernement à une atteinte portée à l'unité nationale, c'est-à-dire à une sorte de sacrilège. Le procédé est de bonne guerre, mais de portée limitée, car il est voué à s'user assez vite. Il suffit que l'opposition choi­sisse bien ses angles d'attaque, et ceux-ci ne manquent pas.

Autre pratique, très éprouvée, jusqu'ici avec succès, qui risque de devenir dangereuse à la longue : évoquer le vrai problème parce qu'il s'impose avec trop d'évidence, mais affirmer aussitôt qu'il ne se pose pas en fait, ce qui se­rait un bon moyen de s'en débarrasser définiti­vement. On aura reconnu, dans le cas présent, le lien qui peut exister entre les événements d'actualité et l'islam. Avec cette déplorable ma­nie qu'ont les terroristes de tuer les gens en criant «Allah akbar», il devient difficile d'empêcher le bon peuple de se poser certaines questions et de faire certains rapprochements. Qu'en est-il ?

L'argument le plus radical, celui de la bien-pensance qui se pare des apparences de l'expertise, c'est d'affirmer que, en réalité, les terroristes assassins ne sont pas des musul­mans. Ils invoquent l'islam, mais ils n'ont aucun droit à le faire. Ce sont, en quelque sorte, des imposteurs. On peut lire et entendre des phrases du genre : «Ils n'ont rien à voir avec l'islam, ce sont des barbares». Le raisonne­ment, en forme de syllogisme, est d'une logique impeccable : L'islam est une religion de paix et de tolérance ; or, ces gens-là ont pratiqué une violence atroce ; donc, leurs actes n'ont rien à voir avec l'islam.

Ce qu'il y a de merveilleux, c'est que n'importe qui peut se proclamer expert en théo­logie musulmane et même s'attribuer l'autorité nécessaire pour décerner ou refuser des bre­vets d'authenticité islamique, avec distinction subtile entre islam et islamisme. Le fait que des milliers et des milliers d'hommes et de femmes, nés et vivant dans l'islam, se réclament de cette conception de leur religion n'a rien qui trouble nos experts autoproclamés.

Autre argument : il ne faut pas faire l'amalgame entre les terroristes et les musul­mans qui vivent pacifiquement en France. C'est parfaitement vrai, et d'autant plus facile à croire qu'on n'a probablement jamais vu, dans l'histoire de l'humanité, toute une population se livrer à des actes barbares, fût-ce dans les ré­gimes les plus haïssables. Malheureusement, on a souvent vu des minorités agissantes et violentes imposer leur loi à des populations pa­cifiques certes, mais facilement disposées à se soumettre.

Dernier argument à la mode : les premières victimes des barbares qui se disent musulmans sont des musulmans. Il est vrai qu'il y a de ter­ribles violences entre musulmans, que ce soit entre sunnites et chiites ou, à l'intérieur d'une même communauté, de la part d'hommes san­guinaires qui veulent imposer leur loi. Mais on ne voit pas pourquoi nous serions bien avisés de les inviter à venir s'entre-égorger chez nous en attendant qu'ils nous égorgent nous-mêmes.

On le voit : de tous ces arguments, cons­tamment ressassés, il n'en est aucun, examiné sérieusement, qui puisse nous persuader que la présence massive de l'islam en France n'est un problème que dans les fantasmes d'islamophobes obsédés.


La réalité en face : le problème de l'islam

Il faudrait de très longs développements pour traiter, même sommairement, de cette question. Cela a déjà été fait à plusieurs reprises dans ces colonnes. On voudra bien nous pardonner de ne rappeler ici que quelques  grands traits.

En ce début du XXIe siècle, l'islam s'impose à nous non pas comme un objet d'étude désintéressée, mais comme une réalité qui pèse sur tous nos choix importants, que ce soit à l'échelle internationale, voire mondiale ou, plus particulièrement, dans notre propre pays.

Sans nous donner le ridicule de prétendre pénétrer les subtilités de cette religion, nous devons constater que l'islam présente deux caractéristiques majeures qui nous concernent très concrètement. Intrinsèquement et en permanence, l'islam n'est pas une simple religion au sens où nous l'entendons, essentiellement tournée vers des préoccupations spirituelles, c'est aussi un code complet qui prétend régler de façon  contraignante tous les aspects de la vie en société. C'est donc à la fois une constitution, un code civil et un code pénal. Lorsqu'il est présent en force dans un pays, il pose donc forcément des problèmes de compatibilité avec les lois de ce pays.

D'autre part, au fil du temps, l'islam est animé en profondeur d'une pulsion expansionniste, voire conquérante. Ce mouvement connaît des phases de répit, voire de passivité, comme au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. Depuis quelques décennies, au contraire, il est dans une phase particulièrement active. Cela se manifeste de façon très concrète et accélérée par un double phénomène : une sorte d'épuration religieuse au Proche et au Moyen Orient au profit des musulmans et au détriment des chrétiens, déjà peu nombreux et de plus en plus contraints à fuir les territoires où ils étaient implantés bien avant la naissance de l'islam ; et d'autre part une arrivée de plus en plus massive de populations musulmanes en Europe, sur des territoires traditionnellement chrétiens.

La France subit les conséquences de ce mouvement général de façon particulièrement rude. C'est la première fois dans toute notre histoire que sont réunies trois conditions dont les effets se conjuguent : une arrivée aussi massive (six millions, chiffre officiel minimum, en réalité beaucoup plus) dans un temps aussi court (quelques décennies) de populations aussi loin de nous par la culture, la civilisation, la religion, le mode de vie. Cette constatation, historiquement incontestable, est un facteur capital.

L'islam joue dans le monde un rôle très particulier. Force est de reconnaître qu'il n'est guère de conflit où il ne soit partie prenante. Il est évident aussi que les musulmans entendent imposer par tous les moyens leur religion comme la religion de référence universelle, appelée à devenir la religion unique. C'est ici plus particulièrement que nous retrouvons notre point de départ. Mettons en regard les faits initiaux et leurs conséquences. A l'origine, quelques dessins caricaturaux représentant Mahomet, parus dans un obscur journal danois et repris dans un journal français. Conséquences immédiates : des émeutes avec violences jetant dans les rues des centaines de milliers, au moins, de musulmans. Conséquence différée : les tueries des 7, 8 et 9 janvier, puis, suite à un autre dessin au message assez confus mais non hostile, des centaines de milliers, peut-être des millions de musulmans dans les rues, avec des morts, des dizaines d'églises détruites et autres violences diverses. A-t-on assez conscience de la disproportion himalayesque, monstrueuse, inconcevable avec d'autres acteurs, entre l'origine (quelques coups de crayon) et les conséquences ? La signification de ces événements est effarante. Elle est que, pour des millions de musulmans, l'islam a le droit d'imposer par le fer et par le feu son traitement du blasphème à son égard, non pas seulement parmi ses ressortissants, mais dans le monde entier.

Que l'on veuille bien nous pardonner ce qui a pu sembler être un trop long détour par des généralités mais, comme tout est fait, dans les commentaires plus ou moins officiels, pour nous rendre myopes et pour égarer notre attention sur des détails, il a paru utile de remettre les faits dans leurs justes perspectives.

Dans cette entreprise de restauration de la réalité, on a la triste surprise de rencontrer un opposant inattendu : le pape François. On ne sait comment expliquer l'affection qu'il témoigne en toutes occasions pour l'islam et pour les musulmans. On se souvient de son premier voyage pontifical, à destination de Lampedusa. On se souvient du triple «Vergogna !» lancé sur un ton de prophétie lyrique pour faire honte aux Européens de recevoir trop peu de musulmans, et trop mal. Ses sentiments n'ont apparemment pas changé. A propos de la tuerie des 7, 8 et 9 janvier, il a manifesté en termes à peine voilés sa compréhension envers l'acte des tueurs en disant que, si sa mère était insultée, il répondrait certainement par un coup de poing. On remarquera que ce champion ostensible de l'humilité, toujours prompt à battre la coulpe de l'Eglise catholique sur la poitrine des autres, se plaît à se représenter dans une posture avantageuse. On est effaré que le pape ose établir un rapprochement entre une réaction spontanée qu'il qualifie lui-même de normale et des déferlements de violences meurtrières et destructrices d'églises. Une telle attitude est ressentie de manière particulièrement amère par les catholiques (dont l'auteur de ces lignes fait partie).


Terrorisme, blasphème et liberté d'expression

Les projecteurs du débat politique sont dirigés avec insistance sur la réplique qu'il y a lieu d'apporter au terrorisme. La question est d'importance, mais elle est essentiellement technique et ne relève pas de la compétence de l'opinion publique. On se contentera ici, banalement, de dire qu'il faut que le pouvoir donne à nos forces de sécurité les moyens de remplir leur fonction.

Avant tout, il faut se poser une question toute simple : à quoi sert le terrorisme ? Nous sommes en face d'un paradoxe. Objectivement, le terrorisme, surtout dans un pays comme la France, ne cause que fort peu de dégâts, ne fait que fort peu de victimes. Par rapport aux autres causes de mortalité, ne serait-ce que les accidents de la route ou les accidents domestiques, son pouvoir mortifère est infime. Pourtant, par son caractère spectaculaire et émotionnel, il obtient certains résultats. D'une part, les terroristes frappent suffisamment les sensibilités pour imposer leur domination sur les plus modérés de leurs sympathisants naturels et, d'autre part, ils exercent une fascination qui précipite dans le camp de la violence, et même du djihadisme, ceux qui sont les plus avides d'action, en particulier les jeunes. Le terrorisme doit donc être combattu en tant que moyen d'action au service de la subversion islamiste, qui est le véritable danger.

Conclusion pratique : il ne faut rien lui céder, ni en réalité, ni même en apparence. A ce sujet, on peut être surpris par certaines réactions, émanant en particulier de chrétiens. Sous le double prétexte de ne pas heurter la sensibilité des croyants de toutes religions (en fait des musulmans) et de ne pas provoquer de représailles  démesurées, ils proposent d'interdire le blasphème. Même si l'on n'a pas de goût particulier pour cet exercice, condamner pénalement le blasphème serait considéré comme une victoire pour le chantage terroriste, qui serait encouragé à persévérer dans une méthode qui lui réussit si bien. De plus, en pratique, l'islam serait le seul bénéficiaire de l'interdiction du blasphème puisque il y a beau temps que les chrétiens sont habitués à subir sans réagir, si ce n'est, au maximum, par quelques manifestations pacifiques et très circonscrites. Qu'on se souvienne de telle représentation théâtrale ou de telle exposition dans lesquelles le Christ est traité non pas par la moquerie, mais de la façon la plus concrètement ordurière. Qu'on se souvienne aussi d'un ouvrage au succès planétaire comme le Da Vinci code qui, en représentant Jésus comme l'amant de Marie-Madeleine, développe l'idée que le christianisme, dès son origine, repose sur une gigantesque imposture.

Ce qui est en cause, c'est bien la prétention de nombreux musulmans à imposer l'idée que leur religion est la seule à devoir être traitée dans le monde entier avec des ménagements particuliers. Et à vrai dire, il semble bien que cette idée soit en train de s'insinuer, de façon subreptice et probablement inconsciente, dans bien des esprits. En témoigne une observation qui paraîtra anecdotique, mais qui n'en est pas moins significative. On voit en effet se répandre l'habitude de désigner Mahomet non pas par son nom, mais comme «le Prophète», avec l'article défini et, souvent, la majuscule, comme si le fondateur de l'islam avait par excellence droit à ce titre, ou même était le seul à y avoir droit. De telles déviations ne sont jamais innocentes, car c'est sous l'apparence anodine des mots que peut s'infléchir notre façon de penser.

Le blasphème, qu'on le nomme ainsi ou par un équivalent, est une notion imprécise dont il serait à peu près impossible de définir juridiquement la nature exacte et le champ d'application, qui pourrait être étendu arbitrairement et indéfiniment. Ce qui est le plus menacé et bridé aujourd'hui, c'est la liberté d'expression. Ne donnons pas l'occasion à la police de la pensée de s'exercer encore plus rigoureusement et de façon plus perverse.


Déni de réalité et exploitation politique

Il faudrait être amorphe pour baigner aujourd'hui dans la sérénité. Que l'on considère l'état de la France ou le monde autour de nous, c'est l'inquiétude, voire l'angoisse, qui s'impose à nous. Comment y échapper ?

Le premier mouvement, surtout de la part des détenteurs du pouvoir, c'est de nier la réalité qui fâche, de faire comme si elle n'existait pas. Dans sa dernière conférence de presse, le président de la République a montré toute sa virtuosité : on pourrait évaluer pour ainsi dire en dizaines de secondes le temps qu'il a passé à traiter de l'économie, et plus particulièrement du chômage.

Quant à l'islam, on a vu plus haut les ruses qui étaient déployées pour éluder le sujet. Après les tueries, le ministère de l'éducation nationale a évalué à quelques élèves dans quelques établissements le nombre des manifestations de sympathie, voire d'approbation enthousiaste à l'égard des terroristes. On est ensuite passé à quelques dizaines de cas, avant de se réfugier dans le silence. En fait, on voit peu à peu se révéler les témoignages montrant l'importance, dans les classes, du nombre de réactions du type : «C'est bien fait pour les dessinateurs de Charlie Hebdo, ils ne l'ont pas volé». Mais presque tout restera étouffé dans le huis-clos des classes, jusqu'à une prochaine explosion. On n'a à peu près rien dit non plus de deux faits, isolés certes, mais terriblement inquiétants par leur valeur de signe et de symbole : plusieurs militaires français ont déserté pour rejoindre le djihad et une femme gendarme, affectée au service du renseignement, entretient des relations intimes avec un ami de Coulibaly, après s'être convertie à l'islam et en portant le voile en dehors du service.

Lorsqu'un événement exceptionnel se produit, c'est une tentation irrésistible pour le pouvoir en place que de l'exploiter à son profit. Celui-ci n'y a pas manqué et a même fait preuve d'un réel savoir-faire. Son action la plus visible a consisté à se présenter comme l'artisan et l'incarnation d'une unité nationale qui ne peut que toucher le cœur de tous les Français et qui s'exprime dans une formule bien trouvée : l'esprit du 11 janvier. On a vu plus haut que tout  cela était essentiellement gonflé de vent, à la fois parce que n'importe qui, à la place de l'actuel président et de son gouvernement, aurait agi de la même façon et que cette action s'est exercée dans un domaine très limité en laissant intacts, sans une amorce d'amélioration, tous les problèmes les plus graves de notre pays. Il n'y a donc pas lieu de faire allégeance à un pouvoir qui n'a rien de véritablement tutélaire. Au lieu de servir l'unité nationale, il s'en sert pour dénier toute légitimité aux critiques qui peuvent lui être opposées.

Il va s'en servir aussi de façon plus subtile et plus perverse. Sous prétexte de prendre des mesures de lutte contre le terrorisme, il se propose d'édicter des lois répressives qui auront a priori la faveur du peuple, censées renforcer les «valeurs républicaines», mais serviront, dans la foulée à incriminer de pseudo-délits, comme le «repliement identitaire» ou l'islamophobie. Il faut que nous soyons lucides et vigilants sur ce point pour défendre ce qu'il nous reste encore de liberté d'expression.

L'unité nationale, invoquée par Hollande comme une formule magique est essentiellement un leurre. La réalité n'a en rien changé après le 11 janvier et notre combat politique est toujours dirigé contre le pouvoir socialiste.


Nos vrais défis

Nous sommes partis du terrorisme. C'est un fléau, mais c'est une réalité saisissable, contre laquelle on peut prendre des mesures précises, d'application immédiate. Toutefois, chacun sent bien qu'il s'agit là d'une résultante, qui est le produit de facteurs plus nombreux, plus complexes. Il faut donc aller chercher des solutions à un niveau plus profond.

Pour certains, la solution est simple et elle tient en un mot : laïcité, qu'ils proposent même d'ajouter aux trois termes de la devise républicaine. Pour d'autres, d'ailleurs, en nombre beaucoup plus réduit, elle est au contraire la source de tous les maux. A considérer les choses objectivement, elle ne mérite ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. La laïcité est une règle d'organisation politique et, à ce titre, elle présente une utilité pratique. Puisque tous les terroristes, en France (et souvent au-delà) se réclament d'une religion qui est l'islam, la laïcité strictement appliquée semble pouvoir empêcher les empiètements de cette religion sur l'organisation de la cité. Le problème de fond serait ainsi résolu et on serait ramené à un problème technique de police.

Mais la laïcité a ses limites et il ne faut pas en faire un absolu sacralisé et tout-puissant. Elle peut avoir une utilité défensive, préservatrice, elle est par nature, en quelque sorte, négative. Elle perd beaucoup de son pouvoir quand on a affaire à des forces en partie spirituelles et animées d'une forte volonté d'expansion.

Nous ne pouvons donc pas éluder la question de la nature de l'islam et de ses rapports avec la société et les institutions françaises. Puisqu'on nous dit qu'il y a plusieurs sortes d'islam, certains ont la solution : il faut faire un islam de France, et pas seulement en France, qui serait donc, presque par définition, compatible avec toutes les réalités françaises. Perspective séduisante, mais totalement irréaliste. De quel droit, et au nom de quelle autorité, irions-nous dire aux pratiquants d'une religion vieille de près de quatorze siècles qu'ils doivent aménager cette religion de telle ou telle façon ? Comment obtiendrions-nous qu'ils inventent tout d'un coup et qu'ils pratiquent presque unanimement une variante qui ne se serait pas dégagée au cours de près d'un millénaire et demi ? A moins, évidemment, que nous n'envisagions l'aboutissement du processus au terme d'un autre millénaire. La viabilité d'une telle solution est d'autant plus improbable que l'islam est aujourd'hui, de toute évidence, dans une phase d'expansion et de durcissement.

Il faut regarder la vérité en face. Ce serait se faire une bien piètre idée des musulmans que d'imaginer qu'une communauté très nombreuse (certainement plus de six millions de personnes), adepte d'une religion très forte qui a défié les siècles et qui inspire un mode de vie, une civilisation très typés, va avoir comme principale ambition de se fondre dans notre mode de vie et de pensée, dans notre civilisation. Il n'en est évidemment rien, et nous ne saurions en vouloir aux musulmans, qui vont naturellement dans le sens de leurs désirs et de leurs intérêts.

Nous pouvons imposer le respect de nos lois à tous les habitants qui vivent sur notre territoire. C'est bien le minimum, mais cela ne suffit pas pour assurer une homogénéité suffisante de la communauté nationale française. Cette homogénéité a pu être préservée tant que les nouveaux arrivants ont eu la volonté d'adopter notre mode de vie et de pensée, c'est-à-dire de remplir les conditions de l'assimilation, et pas seulement de la simple intégration. Aujourd'hui, voyons la vérité en face, ce n'est le cas que pour certaines personnes à titre individuel, et ces personnes-là sont bienvenues chez nous. Mais nous avons sur notre sol une population nombreuse, animée d'une force vitale et spirituelle, en pleine expansion démographique, bien décidée à conserver son identité propre, donc à ne pas s'assimiler. Il est évident, et même mécanique, que si nous la laissons croître par des apports extérieurs massifs et si nous posons en face d'elle une laïcité neutre, froide et défensive, ce sera le contact du pot de fer et du pot de terre. On connaît d'avance le résultat.

Voulons-nous donc être comme des papas-gâteaux (ou plutôt gâteux) qui regarderaient d'un œil attendri s'installer chez eux des forces vives pour les remplacer parce qu'eux-mêmes auraient fait leur temps ?

Pour notre part, nous refusons cette euthanasie collective. Pour n'y pas succomber, il faut d'abord prendre des mesures immédiates extrêmement énergiques, allant jusqu'à l'électrochoc. Mesures répressives impitoyables, par l'action de la police et de la justice, contre toutes formes de violence s'apparentant au terrorisme. Mesures politiques, en particulier par une forte réduction des entrées de populations étrangères sur notre territoire et par le tarissement des pompes aspirantes que constituent des avantages sociaux abusifs. Mais cela ne suffit pas. Le défi qui nous est lancé n'est pas seulement d'ordre matériel et pratique. Il faut aussi, et surtout, que nous portions notre action sur le terrain des mœurs et des forces spirituelles. Nous avons un patrimoine très précieux à défendre et à faire prospérer. Il s'appelle la civilisation française, dont les racines chrétiennes sont une réalité historique avérée et toujours vivante. Les attentats du début janvier sont peut-être un coup terrible frappé par le destin pour nous réveiller.