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VI­GILANCE & AC­TION - N° 371  AVRIL 2018

 


LA LECON DE MAI 68 

par Jacques ROUGEOT, professeur à la Sorbonne

Intervention lors d’un colloque organisé le 19 janvier 2002 par l’association «Les Amis de Jacques Foccart»

 

Parler de la leçon de mai 68, vaste pro­gramme, que je ne pourrai pas par­courir en entier mais à propos duquel je m’appuierai sur le livre de Jacques Foc­cart qui contient en quelque sorte ses mémoires. Il nous ra­conte un peu au jour le jour la façon dont il a vécu les divers événements et no­tamment ceux du mois de mai 68.


C’est un livre tout à fait précieux et inté­ressant parce qu’il nous donne toute sorte de matériaux. Matériaux bruts si on veut mais substantiels éga­le­ment qui peuvent donner matière à des livres d’histoire, de ré­flexions sur l’histoire, des romans, des comédies, des tragédies et des drames. Et évi­demment cette pé­riode de mai 68 n’est pas pauvre en ma­tière même de comédies mais surtout de tra­gédies et de drames.


UN TEMOIN ET UN ACTEUR EXTRAORDI­NAIRE


Sur le déroulement des événements, cet ou­vrage ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà mais l’intérêt qu’il présente c’est qu’il nous re­plonge dans un état d’esprit au jour le jour. Après coup nous avons une image plus ou moins défor­mée et il est toujours instruc­tif de revivre des évé­nements dans la continuité où ils ont été vé­cus. Jacques Foccart a toujours occupé une place qui n’appartenait qu’à lui. Il n’était pas mem­bre du gou­vernement, évidemment pas président, il n’était même pas exécutant di­rect, comme le serait par exemple un préfet, donc il n’avait pas officiellement à prendre de décisions ni officiellement à donner des ordres et pourtant il jouait sur tous les cla­viers et son autorité, à la fois naturelle et conquise, fai­sait évi­demment merveille en la matière. Nous voyons en quelque sorte les reflets et les contre­coups des événements de mai 68. Nous voyons aussi une certaine facette, une certaine image de Jacques Foccart lui-même. Au fil de ces colloques qui se succèdent, je crois que nous arrivons à pré­ciser l’image de cet homme multi­forme et com­plexe. D’autant plus com­plexe qu’il apparaît comme relati­vement impénétrable au premier abord. Donc les occasions que nous avons de le saisir, de saisir sa person­nalité profonde sont des occasions intéres­santes.


Comment nous apparaît-il au cours de cette période sensible ? Et bien à la fois comme un homme de terrain, un homme d’intuition, de flair pour ainsi dire, un homme d’action et un homme prag­matique. Il ap­préhende les événements intel­lectuellement mais aussi intuitive­ment et c’est tout à fait important. Il y a des gens, y compris des hom­mes politi­ques, et quelque fois de ceux qui ont un passé auquel on prête un avenir, qui ont une très belle mécanique intellec­tuelle mais qui man­quent cruellement d’intuition, du sens des choses et des gens. Et bien ce sens des choses et des gens Jacques Foccart le possédait, je crois, au maxi­mum et par excellence.


Et puis c’est quelqu’un qui est tou­jours positif. Jacques Foccart est tou­jours là pour dire qu’il y a quelque chose à faire, que même quand la situa­tion semble extrême­ment compromise et bien non il ne faut pas penser que tout est perdu et il y a tou­jours quelque chose à faire. «Faire», «agir» ce sont des ver­bes qui re­viennent constam­ment sous sa plume. Il est bien per­suadé aussi que, certes, il est bon d’analyser, d’essayer d’expliquer les évé­nements tels qu’ils se produisent mais ils ne doivent pas entra­ver l’action. À plusieurs reprises lors­que certains de ses interlocuteurs vont un peu pleurni­cher dans son gilet en disant que tout se dégrade, qu’on a commis des fautes avant, que c’est parce qu’on a commis telle faute que cela va mal mainte­nant, et chaque fois Jacques Foc­cart leur dit : «Eh oui, peut-être, on a commis des fautes avant et s’il y a des comptes à régler en quelque sorte, et bien on les règlera après, mais mainte­nant on est dans la panade donc il s’agit d’agir maintenant».


Une leçon de mai 68, une leçon tirée en parti­culier de l’action de Jacques Foccart et bien en voilà une belle. C’est à dire ne pas passer son temps à se frapper la poitrine et surtout la poitrine des autres et à dire : «Mais voyons, avons bien mérité ce qui nous arrive. Pleurons, pleurons c’est tout ce qu’il nous reste à faire». C’était une attitude qui lui était totalement étrangère.


Et puis alors ce qui montre bien ce côté prag­matique et toujours tourné vers l’action, qui était celui de Jacques Foc­cart, c’est par exemple la création de l’UNI. Les éléments constitutifs de l’UNI se sont trouvés et ma­nifestés pendant les événe­ments de mai 68, devant l’espèce de déréliction qui régnait à ce moment-là, des gens qui ne se connais­saient pas, se sont trouvés, se sont ré­unis. C’est Jacques Foccart qui a vérita­blement permis, je n’hésite pas à le dire puisque j’étais déjà là à ce moment-là, et je suis toujours président de cette or­ga­nisation, à l’UNI d’exister et à continuer à exister.


Il est maintenant le premier mouve­ment uni­ver­sitaire de droite et on peut même dire mainte­nant le seul mouve­ment universitaire de droite qui soit pré­sent sur le terrain. C’est tout à fait re­mar­quable parce que Jacques Foccart ne connaissait pas l’université. Il n’a pas pu vraiment avoir recours à ses souve­nirs pour cela et bien il sentait de quel type d’organisation, organisation tout à fait origi­nale d’ailleurs, la situation en avait besoin et il l’a favori­sée avec l’efficacité qu’on lui connaît. Donc voyez l’homme d’action et l’homme qui prend la décision tout de suite et qui ensuite met les moyens néces­saires pour la réalisa­tion de cette décision.


Alors oui un homme d’action bien sûr mais c’est aussi un homme de réflexion, un homme d’analyse et nous trouvons au fil des pages toutes sortes de dia­gnostics sur les événements qui sont en train de se dérouler. Jacques Foccart ne man­que pas d’essayer de tirer au clair les raisons de la progression du mal que l’on voit se développer tout au court de ce funeste mois. L’une de ces rai­sons, une des forces qui s’exercent dans le mauvais sens se sont évi­demment les mé­dias. Europe 1 servait, en quelque sorte, d’état-major aux révoltés, aux gens sur le terrain pour dire qu’il y avait une colonne qui se dirigeait vers tel en­droit, que les for­ces de l’ordre étaient ici et qu’il valait mieux pas­ser par une autre rue. On a eu vérita­blement une colla­bo­ration de certaines chaînes de radio avec l’insurrection. Jacques Foccart s’en prend de façon extrêmement virulente, et le général de Gaulle est tout à fait d’accord aussi, à la radio et en particulier à la radio nationale qui devait s’appeler à l’époque la RTF si je me rappelle bien, qui, dit-il, «est pres­que complètement contre nous». Ce qui d’ailleurs doit nous inspirer certaines réflexions et en parti­cu­lier celle-ci que maintenant on voudrait nous faire croire que sous le règne, si on peut dire, du géné­ral de Gaulle les chaî­nes de radio et de télé­vision étaient vé­ritablement martyri­sées, as­servies, te­nues sous le boisseau par un pouvoir impitoyable. C’est évidemment de la fa­ble, nous le voyons bien ici par la façon dont ces gens-là se sont comportés en 1968, comme maintenant en 2002.


«MES MINISTRES N’ONT PAS DE COUIL­LES»


Donc les médias vont tout à fait dans le mau­vais sens mais il faut aussi ba­layer de­vant sa porte. Ce que Jacques Foccart dé­nonce constam­ment, cela re­vient comme un véritable refrain, un leitmotiv dans ses pa­ges, c’est le man­que d’autorité. Il faut dire que le ministre de l’intérieur de l’époque, Chris­tian Fou­chet, en prend pour son grade. Il l’aime beaucoup d’ailleurs mais il déplore son incapacité. Le général de Gaulle est tout à fait sur la même li­gne. Par exemple à plu­sieurs repri­ses il lui dit : «Mais je vous l’ai déjà dit plusieurs fois, je n’ai pas de minis­tre» et puis une autre fois même il lui dit : «Mes ministres n’ont pas de couil­les». Il dé­plore en particulier que l’on ait même laissé se dresser la première barricade : «On n’aurait pas dû laisser monter un pavé sur un au­tre». Il emploie cette image très concrète et très juste aussi, je crois, et à partir du mo­ment où le cycle était engagé et bien il était beaucoup moins facile d’en sor­tir. Henri Ma­zoué a rappelé cette es­pèce d’assaut qui a été donné au siège du SAC rue de Solfé­rino et que Jac­ques Foccart ra­conte aussi. Il y avait tout un pelo­ton de CRS qui était juste à côté, à quelques dizai­nes de mètres de là, et qui n’intervenait pas. À ce moment-là le chef des CRS se répand en di­sant : «Nous n’avons pas d’instruction. Nous vou­drions nous battre contre la rébel­lion mais nous n’avons pas d’instruction».


Alors évidemment l’un des remèdes, et là en­core nous pouvons en prendre de la  graine main­tenant, c’est qu’il faut nommer aux postes qu’il faut les gens qu’il faut. Jac­ques Foccart insiste beau­coup par exemple sur une qualité essen­tielle qui doit être celle d’un ministre, il dit : «Comme minis­tre, cer­tes, il faut nommer des gens compétents bien sûr mais surtout fidèles.» Et combien de fois par la suite, hélas, a-t-on vu des gens, même à la com­pétence douteuse, mais en tout cas à l’infidélité avérée, qui ont été nommés par la droite au pou­voir. Et de Gaulle, un peu dans les mêmes termes, dit : «Ce qu’il faut trouver ce sont des hommes qui sont capables de prendre les affaire en mains».


 «LES IDIOTS UTILES»


Ce qui est intéressant de remarquer dans tou­tes ces explications des événe­ments de mai 68 c’est qu’elles sont toutes d’ordre politique et psy­chologique. Nous ne voyons pas d’explication de nature es­sen­tiellement économique ou sociale. Alors on pourra dire que c‘est une lacune dans l’analyse, si on veut, mais en même temps je crois que cela remet aussi notre esprit dans le droit chemin parce que c’est essen­tiellement sous l’influence du marxisme que même des gens qui se croient non-marxis­tes ou anti-marxistes réson­nent exactement comme si les réalités économi­ques étaient les seules vraies réalités, les au­tres étant des espèces d’épiphénomènes sans grande im­portance. Je crois qu’au contraire les événe­ments de mai 68 étaient effectivement des événe­ments essentiellement de nature politique et psy­chologi­que. D’ailleurs les analyses de Jacques Foccart et du général de Gaulle reposent sur une conception de l’être humain assez pessimiste. Alors nous avons des formules du genre dans la bou­che de Jacques Foccart : «Les hommes ne sont pas cou­rageux dans l’ensemble, ils sont mo­ralement et même surtout physi­quement souvent assez lâ­ches». Les hom­mes en général sont sou­vent assez lâches mais il y a une catégorie qui est plus lâche que les au­tres et à laquelle Jacques Foc­cart, qui est souvent assez modéré dans les ter­mes tout en étant dur dans le fond mais à la­quelle il réserve une volée de bois vert ex­trême­ment vigoureuse, et ces lâ­ches par excellence, ce sont les profes­seurs, et, semble-t-il, plus particulière­ment les profes­seurs d’université.


Je ne résiste pas au plaisir maso­chiste de vous lire ce qu’il écrit à ce sujet-là : «Ce qu’il faut retenir également du mouvement étudiant c’est la faillite des professeurs, leur très grande lâcheté. Chaque fois que le gouvernement a voulu faire quelque chose, tous ceux qui dans l’université avaient des privilèges et faisaient preuve de pater­na­lisme ont re­fusé tout changement. Le jour où l’explosion a eu lieu, ils ont basculé im­mé­diate­ment, ils se sont rués de l’autre côté en disant : «C’est scandaleux, l’université doit être réformée».  Ils ont couru encore plus vite que leur troupe par trouille. J’espère qu’il y aura une profonde ré­forme, elle ne pourra d’ailleurs avoir lieu que grâce à cette violence. Il faut bien reconnaître que dans une at­mosphère calme et sereine on ne peut pas faire de très grandes ré­formes alors je sou­haite qu’elles soient accomplies et que tout ceux qui ont monté cette veulerie et cette lâcheté en fasse les frais non pas par esprit de vengeance mais parce que c’est vrai­ment justifié.» Vous voyez que cela lui tient à cœur. Il faut bien dire que statisti­quement il a raison. C’est à dire que l’on a pu as­sister à un déferlement de lâ­cheté assez affli­geant.


J’avoue, si je peux faire cette petite pa­ren­thèse personnelle, que cela a as­sez for­tement co­loré l’opinion que j’ai eue ensuite de mes glorieux aî­nés. C’est-à-dire que ceux qui voulaient es­sayer d’en imposer avec leurs lauriers, m’apparaissaient tout nus devant moi et ne m’apparaissaient pas comme des apollons  ou des vainqueurs des Jeux Olympiques. Voici donc, l’idée géné­rale que Jac­ques Foccart se fait de l’humanité et des profes­seurs en particu­lier. Le Général a une vision tragi­que, une vision noire, une vision monolithique en quelque sorte, en disant que tout est perdu. Alors peut-être, là aussi, faut-il essayer de voir s’il n’y a pas un certain  jeu de rôle. Le général de Gaulle avait pour habitude devant ses interlocuteurs de noircir le tableau, d’aller dans le sens du pessi­misme. On a l’impression qu’au mois de mai 68 c’était extrêmement profond en lui. Ce qui main­tient toujours en Jacques Foccart une cer­taine forme d’optimisme ou en tout cas un refus de se laisser aller à un pessimisme intégral, c’est le contact direct et l’affection spontanée qu’il a pour les militants. Et cela on le voit bien, il parle du CDR, il parle du SAC, il en parle souvent d’ailleurs assez longuement. Ce sont des gens qui ont droit à la fois à toute sa considéra­tion et à toute son af­fection et il sait qu’il y a de la res­source «là-de­dans», dans cette matière hu­maine et il sait que c’est de là que viendra le sur­saut et c’est bien de là qu’il est venu.


Dans cette narration des événements de cette période il y a des scènes extrê­mement dramati­ques. Par exemple les scènes avec Michel Debré qui est en fait mis à l’écart pendant cette période-là. Pourtant il est mi­nistre de l’économie et des fi­nan­ces. C’est un  grand person­nage de l’État et tout le monde l’aime, tout le monde le respecte et même Jac­ques Foccart parle de l’admiration qu’il a eue pour Michel Debré et Dieu sait que c’est un terme que Jacques Foccart ne galvaude pas parti­culiè­rement l’admi­ration. Mais le caractère impulsif de Michel Debré fait que l’on ne peut pas l’associer à un cer­tain nombre de négo­ciations, de décisions etc. Et aussi bien Georges Pompidou que Jacques Foccart en sont désolés mais l’intérêt supérieur passe par-dessus l’amitié et même cette espèce de tendresse qu’ils ont tous à l’égard de Michel Debré. Et alors ces moments de tension entre per­sonnali­tés fortes dans une situation dramatique on com­prend bien que cela se manifeste, c’est sensi­ble aussi dans les relations entre le Général et Jac­ques Foccart lui-même. Ils ne sont pas toujours d’accord et en particulier Jacques Foccart est tou­jours en train de lui mettre presque l’épée dans les reins, si j’ose dire, et il y a des fois où le Général est ex­cédé : «Oui je sais, je sais, je sais, vous me dites toujours ça, bien-sûr vous me dites toujours ça». Et Jacques Foccart, on l’imagine très bien, avec son air presque anodin et son apparence im­perturba­ble, malgré tout maintenant sa position face à ce personnage historique. Et il y a des fois où l’émotion des deux hommes va véritable­ment à son comble. Je ne me rappelle plus quel jour c’est, c’est le 20 et quelque du mois de mai, les deux hommes se sont vé­ritablement affrontés et on sent que si peut-être certaines pa­roles maladroites avaient été pronon­cées à ce moment-là le Général aurait pris des décisions fâcheuses pour la suite. On est vraiment dans des mo­ments de tensions dramatiques extraor­dinaires.


Ce mois de mai est tellement une es­pèce de grand drame au naturel qu’il pré­sente aussi cette caractéristique du drame bien construit qui est que l’angoisse est à son paroxysme juste avant que cette an­goisse ne soit brisée par l’espoir et par l’action. Et c’est évi­demment le 30 mai. L’espoir tout d’un coup renaît. On a un de Gaulle, on peut dire ressuscité, transfiguré, jupitérien qui prononce cette allocution pro­digieuse. Je crois qu’elle doit durer trois mi­nutes et véritablement, simplement d’un point de vue à la fois de la forme et de l’efficacité, c’est un chef d’œuvre absolu cette allo­cution si brève sans un mot de trop. Et ceux qui ont entendu, et j’en fais partie bien-sûr, cette allo­cution au mo­ment où elle a été prononcée, tout le monde a eu cette sensation véritablement physi­que : ça y est, c’est terminé, le patron a parlé, le maître a parlé, la récré, la chienlit c’est ter­miné maintenant on va re­venir à la normale.


LES LEçONS


À propos de cette espèce de psy­cho­drame ab­surde de mai 68, ma sévé­rité est totale.  Il est quelques fois de bon ton, même à droite, de dire : «Oh ! Vous savez, c’était un petit peu un épanche­ment, un ex­cès de vitalité», pas du tout, le mois de mai 68 a été une période tout à fait funeste dont les conséquences ont été funestes pour la France.


Alors quels enseignements pouvons-nous en tirer pour notre situation ac­tuelle ? Au moment où les événements se sont dé­roulés, ils ont pris beau­coup de personnes de court. On peut toujours dire qu’il ne faut pas se laisser prendre de court, mais c’est toujours plus facile après coup que sur le moment. Il y avait un côté insurrectionnel qui s’est installé en somme petit à petit et qui a pris on ne sait pas trop pourquoi. Il y aurait eu cent autres oc­ca­sions avant, il aurait pu y en avoir après, c’est à ce moment-là que cela a pris et le caractère sub­versif de l’action qui était menée était assez nou­veau somme toute. Le monde politique n’était pas habi­tué à l’analyse de la sub­version tout simple­ment. Nous n’avons plus le nez sur l’obstacle, nous avons du recul et par conséquent nous n’avons pas d’excuses si nous n’en tirons pas les leçons.


L’une des premières leçons qu’il faut ti­rer c’est la fragilité que peut avoir une so­ciété, un Etat poli­ti­que au moment même où il paraît le plus solide, car ap­paremment au mois d’avril 1968 on peut dire que la Vème République semblait établie sur des bases extrêmement soli­des, la grande épreuve de l’Algérie avait été surmontée, elle était déjà relative­ment loin derrière à ce moment-là, éco­no­mique­ment la France était en plein essor et ne re­trouvera plus cet essor.


Mai 68 a cassé pas mal de ressorts économi­ques de la France. Cet État si so­lide à tout égard, politiquement, éco­nomi­quement voilà qu’il parais­sait chan­celer en quelques semaines, presque en quelques jours. Et l’une des raisons jus­tement de cet ébranlement et de ce ris­que de chute est qu’à un certain moment les rouages de l’État ont fait dé­faut. Il faut s’en souvenir. C’est un peu à la mode maintenant dans certains mi­lieux qui ne sont pas forcément de gauche d’aspirer au dépérisse­ment de l’État. L’État c’est celui qui est de trop, c’est l’entrave à la liberté, c’est tout ce qu’on veut. Et bien on voit ce qui se passe lorsqu’il n’y a plus d’État, et en particulier dans un pays comme la France, il faut qu’il y ait un État avec non seule­ment un chef de l’État mais également les roua­ges.


Nous devons savoir que l’un des le­viers d’action contre nos adversaires cela peut-être les élections. Les élec­tions législatives du 30 juin ont été véri­tablement le coup de gourdin qui a frappé nos adversaires der­rière les oreilles. Il faut consi­dé­rer aussi les élec­tions comme cela. Les élec­tions après tout c’est aussi une occasion de donner le pouvoir aux uns ou aux autres et il faut que nous le prenions et que nous consi­dérions les élections sous cet angle-là. Il ne faut ja­mais perdre cela de vue, c’est absolument essentiel. Mais cela aussi ne suffit pas car on a bien constaté par la suite que, malgré le triomphe électoral du 30 juin 1968, cela n’a pas marqué pour autant la disparition ni même l’affaiblissement décisif de nos ad­versai­res. La re­prise en main n’a pas été suffi­samment faite et en particulier la reprise en main des esprits car après un éven­tuel succès électoral il faut reconquérir le terrain. Le pouvoir c’est en partie le pou­voir politi­que mais c’est aussi ce qu’on peut appeler le pou­voir réel celui qui s’exerce dans tous les secteurs d’activités, dans tous les secteurs d’influences. Ce qu’il faut c’est en per­ma­nence reconquérir les mé­dias, l’enseigne­ment, la magistrature et re­conqué­rir dans une certaine mesure la rue c’est à dire être capable de faire des manifestations impres­sion­nantes en par­ticulier en période électorale. Il y a maintenant des gens ex­trêmement sub­tils qui vont nous dire que les grands rassemblements tout ça c’est du passé, c’est ringard. Qu’on fasse aussi de la propagande politique par Internet je le veux bien, il faut se servir de tous les moyens, mais si cer­tains croient qu‘on va pouvoir faire l’économie de ces mobi­lisations et pour ces mobilisations d’abord de la mobilisation des militants, et bien ces gens-là se trom­pent totale­ment et le mois de mai 68, l’exemple du général de Gaulle et de Jac­ques Foc­cart nous le montre et nous le dé­montre su­rabon­damment.


Il faut donc un État qui se fasse res­pecter et une des façons dont l’État peut se faire respecter c’est de procéder dans tout ce qui dépend de lui-même aux no­minations certes de gens compétents comme dit Jac­ques Foccart mais surtout de gens fidèles et non pas des gens qui vont nous tirer dans les pattes juste après. Tout ça est contenu en germe dans mai 68 et nous avons as­sisté de­puis lors à ce qu’on a appelé il y a un certain temps «mai rampant». Des voi­tu­res brûlées, il y en a eu quelques-unes en mai 68, il y en a combien mainte­nant ? Il y en a des centaines et au bout de quelques temps il en a des milliers. Mais en tout cas cela se fait, c’est le principe du salami, on ne peut pas avaler un salami tout d’un coup ni obliger quelqu’un à le manger tout d’un coup, mais en le découpant en tranches suffi­samment fines on finit par le lui faire avaler et maintenant c’est un peu ce qui se passe.


Voilà, donc je crois que le mois de mai 68 à la fois dans tout son côté som­bre et négatif et, dans la façon dont les choses ont été reprises, nous donne une leçon et une grande leçon. On n’a pas tou­jours l’occasion et heureusement de vivre dans le drame mais il n’empêche que la France pourrait bien se dissoudre, c’est un des termes qu’employait le gé­néral de Gaulle. Jacques Foc­cart, on peut dire, jusqu'à son dernier souffle nous a indiqué sans ambiguïté quelle voie et y compris quelle voie électorale nous devions choisir pour que la France ne s’enfonce pas et cette fois-ci peut-être irré­médiablement.


  

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