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Une communication du MIL

L’INQUIÉTANTE DÉRIVE DE LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ÉTAT EN MATIÈRE MIGRATOIRE


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Tribune de Philippe Fontana* parue dans Le Figaro du 22 mai 2024


Le nihil obstat délivré par le Conseil d’État au financement, par les collec­tivités territoriales, des associations qui font entrer en Europe des immi­grants illégaux illustre une inquiétan­te évolution de la jurisprudence dans le contexte migratoire actuel. Dans son arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d’État juge en effet légale la subvention accordée par la ville de Paris à l’as­sociation SOS Méditerranée, dont l’activité consiste à affréter des navires (l’Aquarius, l’Ocean Viking) afin d’aider les migrants à rejoin­dre l’Union européenne.


L’arrêt du 13 mai dernier est en contradiction avec une décision de 1989, «Commune de Pierre­fitte-sur-Seine». Cette municipalité communiste, associée à d’autres communes de l’ancienne «ceinture rouge» de Paris, avait financé un «ba­teau pour le Nicaragua», afin d’aider le mouve­ment sandiniste. Le Conseil d’État avait censuré cette aide en jugeant qu’en l’attribuant, ces muni­cipalités avaient entendu «prendre parti dans un conflit de nature politique».


Comment comprendre que la solution ne soit pas la même trente-cinq ans plus tard ? D’abord, par l’intervention du législateur qui, en 2007, puis en 2014, a autorisé les collectivités territoriales à financer des opérations humanitaires sans la contrepartie d’un intérêt local, critère exigé par la jurisprudence administrative antérieure. Tout jus­te doivent-elles œuvrer «dans le respect des enga­gements internationaux de la France». Ensuite, par le fait que le Conseil d’État réduit l’activité de SOS Méditerranée à une intervention humanitaire, sans en relever le caractère politique, et sans voir qu’elle interfère avec la conduite par l’État des re­lations internationales de la France.


Même si la rédaction de la décision s’ingénie à démontrer que la convention passée entre le Conseil de Paris et l’association SOS Méditerranée est fléchée vers un objectif «strictement humani­taire», il est manifeste que tant la finalité de l’ac­tion de SOS Méditerranée que celle du Conseil de Paris (en aidant l’association) ne sont pas seule­ment humanitaires. SOS Méditerranée est une as­sociation dont le but est politique, même si son ac­tion est en partie humanitaire. Sa vocation officielle est certes d’éviter le naufrage des embar­cations de migrants affrétées par des passeurs, mais sa vocation réelle (et publiquement revendi­quée) est de faciliter la migration irrégulière vers la rive nord de la Méditerranée. Dissocier son ac­tion politique et son action humanitaire relève de la casuistique.


La solution retenue dans l’arrêt ville de Paris doit sans doute beaucoup à la sociologie et à l’idéologie (hostile aux mesures restrictives en matière d’immigration) des membres du Conseil d’État et de la haute fonction publique. Il n’est pas anodin que Mathias Vicherat, ancien directeur du cabinet du maire de Paris et ancien directeur de Sciences Po Paris, figure publiquement parmi les soutiens revendiqués de SOS Méditerranée.


La jurisprudence du Conseil d’État est à l’origi­ne, en 1978, du droit au regroupement familial, re­connu sur le fondement d’un «principe général du droit» découvert pour les besoins de la cause. Ce droit s’imposa au gouvernement, malgré la volon­té contraire du président Giscard.


Plus récemment, le Conseil d’État s’est opposé à la pleine transposition d’une directive européenne par la «loi Collomb» de septembre 2018 rendant irrecevable la demande d’asile d’une personne ayant transité par un pays tiers sûr. Or, le détour­nement du droit d’asile explique en bonne partie l’incapacité de l’exécutif à lutter contre l’immi­gration irrégulière. Rappelons que toute personne arrivant sans titre sur le territoire national a le droit de solliciter l’asile et se voit attribuer de ce fait un titre de séjour régulier et des aides sociales. Indiquons aussi que, sur les 167.000 demandes ef­fectuées en 2023, seules 40 % ont abouti, nonobs­tant la jurisprudence libérale de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Or, selon le dernier rap­port de la Cour des comptes, seuls 2 % des dé­boutés voient leur obligation de quitter le territoi­re français (OQTF) exécutée d’office.


La lecture des rapports d’activité de l’associa­tion SOS Méditerranée permet d’apprendre qu’une des nationalités les plus représentées dans les personnes secourues est celle provenant du Bangladesh. Or, c’est l’une de celles qui rencon­trent le plus fort taux de rejet de ses demandes, celles-ci étant en réalité motivées par des raisons économiques.


Le périple de l’Ocean Viking débarqué à Toulon en novembre 2022 illustre les conséquences prati­ques de l’action de SOS Méditerranée. Débordée par l’afflux, malgré la création d’une zone d’atten­te spéciale, la justice avait libéré quasiment tous les passagers, qui s’étaient ensuite fondus dans la nature. Il est clair (même si, pour le Conseil d’État, «cela ne résulte pas des pièces du dossier») que cette association interfère directement avec la po­litique française en matière d’immigration. Pour autant, la juridiction administrative ne retient aucune interférence avec la conduite par l’État des relations internationales de la France.


Elle n’arrive à cette conclusion qu’en triant les faits à sa convenance. Elle considère en effet que l’association a déféré aux autorités des États de l’Union européenne ayant refusé le débarquement des navires de l’association. Or l’Italie, dont le nom est pudiquement omis par la décision, a sanctionné SOS Méditerranée, puisque, le 15 novembre 2023, vingt jours d’immobilisation et une amende ont été infligés à l’Ocean Viking. Le choix, par l’associa­tion, du port d’Ortona, à plusieurs jours de naviga­tion de la zone de sauvetage des migrants, était en effet contraire au décret Piantedosi, nom du minis­tre de l’Intérieur du gouvernement Meloni.


Plus surprenant encore, le Conseil d’État ne voit aucun contournement par SOS Méditerranée des politiques migratoires de la France et de l’Union européenne. La déclaration de Malte du 3 février 2017 sur les aspects extérieurs de la migration est pourtant claire : «Il est primordial, pour une politi­que migratoire durable, d’assurer un contrôle effi­cace de nos frontières extérieures et d’endiguer les flux illégaux en direction de l’UE».


L’arrêt ville de Paris illustre, une nouvelle fois, la réalité d’un gouvernement des juges qui creuse toujours plus le fossé entre le peuple, au nom du­quel les jugements sont rendus, et l’élite à laquelle appartiennent les membres du Conseil. Selon un récent sondage, 68 % des Français sont opposés à l’octroi de subventions publiques aux associations favorisant la migration irrégulière. Il faut au moins, en l’espèce, abroger les dispositions légis­latives ayant permis au Conseil d’État de rendre une décision aussi contraire à la volonté de nos concitoyens.


Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville notait qu’à la veille de cette dernière, «les princes et leurs ministres manquent même de ce pressentiment confus qui émeut le peuple». N’est-il pas temps que le Palais-Royal prenne conscience des aspirations du peuple ?


* Philippe Fontana est avocat. Il est l’auteur de «La Vérité sur le droit d’asile» (Éditions de l’Observatoire, 2023).