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Une communication du MIL

C’EST LE CONTRIBUABLE QUI PAIERA

Le Conseil constitutionnel accorde l’aide juridictionnelle aux clandestins


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Tribune de Philippe Fontana* parue dans Le Figaro du 29 mai 2024


Au nom du principe de fraternité, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré, dans une décision du 6 juillet 2018, l'incrimination d'aide à la circulation d'un étranger en séjour irrégulier. La liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national, découlerait de ce principe.


Six ans après, le Conseil pourfend les différences de traitement fondées sur la durée du séjour (décision du 11 avril déniant aux LR l'organisation d'un référendum d'initiative partagée sur l'accès des étrangers aux aides sociales) et, désormais, sur la régularité du séjour d'un étranger en France.


Par une décision du 28 mai 2024, le Conseil a en effet estimé qu'en subordonnant l'octroi de l'aide juridictionnelle au caractère régulier du séjour d'un étranger, la loi du 10 juillet 1991 avait violé la Constitution. Ce texte attribue cette aide financière de l'État, totale ou partielle, en fonction des ressources du demandeur, en l'absence d'une assurance de protection juridique. Quatre salariés en situation irrégulière avaient saisi le Conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir la requalification de leurs contrats précaires en contrats à durée indéterminée. Conformément à la loi de 1991, l'aide juridictionnelle leur avait été refusée, leur situation irrégulière y faisant obstacle. Le Conseil de prud'hommes a transmis leur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation qui a saisi le Conseil constitutionnel.


Pour fonder sa décision, le Conseil s'est une nouvelle fois appuyé sur des dispositions dites du «bloc de constitutionnalité», en l'espèce sur deux articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : son article 6, qui dispose que la loi «doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse» ; et son article 16, aux termes duquel : «toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution». Interprétant «constructivement» une déclaration des droits qui, historiquement, avait une valeur philosophique et non juridiquement contraignante pour le législateur, le Conseil a estimé qu'en privant les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l'aide juridictionnelle «pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît», les dispositions contestées n'assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables. Dès lors, «ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la justice».


Cette décision laisse perplexe car l'irrégularité du séjour d'un étranger ne le dépouille pas de droits. D'abord, parce que le code du travail dispose qu'un étranger embauché sans avoir d'autorisation de travail «est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé au regard des obligations de l'employeur». Ensuite, parce que ce même salarié peut saisir le Conseil de prud'hommes pour obtenir toutes les indemnités légalement dues. L'irrégularité du séjour d'un étranger n'empêche pas l'accès à une juridiction et lui assure la garantie de ses droits au sens de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle ne fait obstacle (et encore pas dans tous les cas) qu'à l'attribution d'une aide sociale.


La décision du 28 mai encourage l'immigration irrégulière en déniant à nouveau à l'État toute autorité pour la sanctionner. Insistons-y : l'aide juridictionnelle, comme son nom l'indique, est une aide sociale. Elle repose sur la solidarité nationale. Déjà, le législateur, seul compétent en la matière, avait prévu quelques exceptions à la condition de régularité de séjour : étrangers mineurs, étrangers victimes ou même auteurs d'infractions, contentieux des étrangers. Obliger l'État (c'est-à-dire le contribuable) à couvrir les frais d'avocat des étrangers qui résident en France au mépris des lois de la République sape une autorité dont nos concitoyens, dans leur grande majorité, s'accordent aujourd'hui à déplorer la déliquescence.


En outre, en ces temps de tension budgétaire et d'efforts de limitation de la dépense publique, les conséquences financières de la décision du 28 mai ne sont pas à négliger. Selon un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2023, les dépenses en cette matière sont passées de 342 millions d'euros en 2017 à 630 millions en 2022 (+ 13 % par an). Les affaires civiles concentrent 60 % de la dépense, le pénal 29 % et le contentieux administratif 11 %. Le ministère de la justice anticipait un budget de 863 millions en 2027. Il devra le revoir à la hausse compte tenu de la chose jugée par un Conseil constitutionnel qui se comporte ici en prescripteur de dépenses publiques.


La décision du 28 mai peut aussi apparaître comme affectée par des a priori moraux, voire idéologiques. D'abord, par les circonstances de la saisine du Conseil. Il suffit de dénombrer les huit associations et syndicats intervenants (GISTI, LDH, CGT, SAF etc.) pour constater que l'étranger en situation irrégulière n'est pas seul. Il dispose même de plus de garanties d'accès à la justice que beaucoup d'autres justiciables. Les syndicats et associations habituellement en pointe dans ce combat suppléent largement toute aide étatique. Ensuite, cette décision présuppose une vision de l'étranger en situation irrégulière (figure compassionnelle du «sans-papier») dans laquelle le «clandestin» est une victime des malheurs du monde et de l'indifférence d'une société qui le reçoit si mal. Celle-ci, pour se racheter, et par devoir humanitaire, doit impérativement le prendre sous son aile. C'est ignorer que nombre de nationaux sont dans une précarité plus grande qu'un étranger en situation irrégulière. Celui-ci a pu s'installer en France, souvent grâce à des réseaux de passeurs, dégageant des profits de 32 milliards de dollars en 2018 selon les estimations de France terre d'asile (FTDA).


Dans cette affaire, les Français n'ont pas voix au chapitre. Le «dialogue des juges» entre le Conseil des Prud'hommes, la Cour de cassation et le Conseil Constitutionnel est fermé au peuple comme à ses représentants élus. Nos concitoyens ne peuvent davantage nourrir l'espoir de corriger la décision du 28 mai 2024, puisque le législateur, en l'état de la Constitution, ne peut aller à l'encontre de la chose jugée rue de Montpensier. Seul un référendum pourrait faire entendre la légitime amertume ressentie par ceux qu'une autorité non élue oblige, sans se soucier de leur consentement, à financer une solidarité subie.


* Philippe Fontana est avocat. Il est l’auteur de «La Vérité sur le droit d’asile» (Éditions de l’Observatoire, 2023).