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Une communication du MIL

«S’IL ARRIVE AU POUVOIR, LE PRINCIPAL DANGER POUR LE RN EST DE DEVENIR UNE NOUVELLE UMP»


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Grand Entretien d’Henri Guaino*, publié par Le Figaro du 19 juin 2024.


LE FIGARO : Depuis la dissolution surprise d’Emmanuel Macron, votre ancienne famille politique se déchire violemment sur la question des alliances avec le RN. Comment en est-elle arrivée là ?

Henri GUAINO : Au fil des ans, LR avait cessé d’être une famille politique pour n’être plus, dans une société en crise fracturée de toutes parts, qu’un parti tiraillé entre des tendances contraires. L’issue était inéluctable : un jour, les tensions seraient trop fortes et éclateraient au grand jour. Nous y voilà. Mais la disparition des familles politiques est un phénomène général. Toutes les grandes forces politiques, Renaissance, Rassemblement national, LFI, ne sont plus que des partis en forme d’entreprises unipersonnelles dont la logique d’action est devenue purement sociologique, avec une longueur d’avance pour le RN. Les vieux partis de gouvernement, LR et le PS, eux, n’ont plus, eux, de chefs, de Chirac, de Sarkozy, de Mitterrand, pour en maintenir, temporairement au moins, l’unité. Mais faute d’être de véritables familles politiques, les partis, aujourd’hui puissants, n’échapperont pas non plus à ce destin une fois que leurs leaders se seront retirés de la scène.


Est-ce la fin de LR ?

Soit ce qui reste de LR redevient gaulliste soit il disparaîtra totalement. C’est le sort d’un parti qui, ne s’identifiant plus à une famille de pensée n’a plus d’identité, et n’a pas de chef pour masquer ce manque. Ni pour les électeurs qui n’arrivent plus à trouver une réponse à la question «qui sont-ils ?», ni pour les élus et les militants qui n’arrivent plus à répondre à la question «qui sommes-nous ?». «La droite républicaine» tient plus du slogan qui cache mal un manque que de la définition d’une identité. Y a-t-il une droite non républicaine ? Et qu’est-ce que la droite ? Tout ce qui n’est pas la gauche ou le centre ? Mais Les Républicains sont issus de l’UMP, le grand parti de la droite et du centre. Et la droite, quelle droite ? L’orléaniste ou la réactionnaire, la libérale ou l’autoritaire ? Celle de l’argent ou celle de la tradition ? À quelle histoire, à quel héritage se rattache la «droite républicaine» ? Se définit-elle seulement comme un parti de gouvernement ? Par l’appartenance au «cercle de la raison» ? Mais tous les gouvernements depuis le tournant socialiste de la rigueur en 1983 ont revendiqué d’y appartenir.


Existe-t-il deux droites irréconciliables ?

Elles sont toutes difficilement conciliables sur le plan idéologique, quand elles ont encore une idéologie : depuis toujours, sur le fond, la droite libérale et orléaniste est inconciliable avec la droite de tradition, qui sont toutes les deux inconciliables avec la droite gaulliste ou bonapartiste qui, en réalité, n’est pas de droite. Et, dans l’état actuel de la société et du monde, les divergences autour de l’idée que l’on se fait de l’homme, de la société, de l’État, de la nation, de ce que doit être le rôle de la politique et de ce qu’elle peut, rendent les positions encore plus difficilement conciliables.

De plus en plus de gens mettent le nom de De Gaulle sur tout ce qui leur manque en ces temps troublés.

Et la droite RN serait-elle inconciliable avec toutes les autres droites ?

Madame Le Pen récuse cette qualification, et le noyau dur sociologique populaire de son socle électoral ne s’y reconnaît pas. Le RN a siphonné électoralement la base populaire du parti communiste et du RPR. Le principal danger pour lui n’est peut-être pas, comme le redoutent certains, dans un retour, à mes yeux improbable, aux sources idéologiques du Front national mais, à l’approche ou dans l’exercice du pouvoir, de devenir à son tour une sorte d’UMP nouvelle manière, après l’UMP façon Macron, qui finirait par se rallier, comme le parti socialiste à partir de 1983 et le RPR se muant en UMP, à la doctrine de la seule politique possible, se condamnant au même sort que ces derniers en perdant sa base populaire. Mais alors, où irait se réfugier la colère de cette dernière contre des politiques qui l’écrasent ?


De quand date finalement le déclin de votre famille politique : du débat sur le traité de Maastricht, de la création de l’UMP ?

Du moment où est devenue dominante l’influence de ceux qui trouvaient le gaullisme ringard et un parti de notables plus convenable et plus docile qu’un parti de masse avec une large base populaire. Le «oui» à Maastricht qui a fracturé le RPR fut leur première victoire. Avec la création de l’UMP, ils ont gagné la guerre interne contre les gaullistes et ont quasiment fait disparaître de la scène politique non seulement la famille de pensée gaulliste mais aussi les familles libérales, démocrate chrétienne et celle du Parti radical. L’ironie de l’histoire est que cette liquidation de la famille gaulliste a été opérée par des gens soi-disant très intelligents à l’orée d’une époque où au regard de l’état du monde le besoin d’une pensée gaulliste et d’une attitude gaullienne allaient se faire sentir avec de plus en plus d’insistance au point où, comme je l’ai écrit, de plus en plus de gens mettent le nom de De Gaulle sur tout ce qui leur manque en ces temps troublés. Plus une intuition, certes, que des leçons précises tirées d’une histoire que peu de Français connaissent dans ses détails, mais quand même…


La crise politique actuelle n’est-elle pas une conséquence lointaine de la ratification du traité de Lisbonne ?

La ratification du traité de Lisbonne a été vécue par beaucoup de Français comme un déni de démocratie, c’est un fait, bien qu’elle ait été annoncée par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle. Mais il faut en finir avec un double mensonge : le traité de Lisbonne n’est pas la constitution européenne qui serait revenue par la fenêtre après avoir été sortie par la porte et le rejet de la constitution européenne n’effaçait pas l’Acte Unique, ni le traité de Maastricht qui a été le vrai moment de bascule de la construction européenne. L’Europe de l’acte unique et de Maastricht a été le cheval de Troie de ce qu’il y a de plus délétère dans la mondialisation et le carcan qui a conduit toutes les politiques à se ressembler par-delà toutes les alternances démocratiques, carcan qui, s’il n’est pas assoupli, va nous conduire à la pire crise de la démocratie depuis les années trente. La constitution européenne, on va la voir revenir pour de vrai et en pire avec les réformes institutionnelles que préparent le Parlement européen et la Commission.

Au contraire du RPR, le RN cherche à se couper de sa matrice historique originelle : d’un côté le culte du père, de l’autre, le meurtre du père. Cela change beaucoup de choses.


Le Parti d’Éric Zemmour, Reconquête, a également implosé… Comment l’expliquez-vous ?

L’union de tout ce qui n’est pas la gauche ne peut se faire que par les électeurs autour du parti qui atteint une masse critique électorale suffisante pour apparaître à ces électeurs comme le vote utile contre ce dont ils ne veulent absolument pas. Reconquête, pour lequel, comme pour LR, la question sociale était un angle mort, reposait sur un socle sociologique et idéologique trop étroit pour atteindre cette taille critique, il a été vidé par le vote utile. Et, lorsqu’un parti s’affaiblit, sonne l’heure des trahisons.


Il y a des points communs entre le nouveau RN et le RPR : une forme de scepticisme à l’égard de l’Union européenne, une dimension sociale et populaire. En quoi le RN est-il si différent du RPR que vous avez connu ?

Il est certain que le RN occupe aujourd’hui une bonne partie de l’espace politique abandonné par l’UMP. Cela n’en fait pas pour autant un parti gaulliste. Il ne vous a pas échappé que la famille gaulliste, telle que je l’ai connue, était soudée autour d’une histoire commune incarnée par des hommes et des femmes qui avaient fait l’histoire, cette histoire qui allait du 18 juin jusqu’à la lutte contre les tueurs de l’OAS, de la France libre et des maquis de la Résistance à la reconstruction d’un État digne de ce nom, en passant par la Libération et le programme du Conseil national de la Résistance. Les gaullistes avaient fait la sécurité sociale, le plan, l’aménagement du territoire, la Ve République. Une histoire qui n’avait pas accouché d’un catéchisme mais dont chaque gaulliste tirait des leçons pour le présent. Et quand Malraux proclamait «nous ne sommes pas la droite parce que nous avons mis en œuvre le programme social le plus ambitieux depuis le Front populaire», quand Pasqua disait «si être pour l’autorité, c’est être de droite, je suis de droite, si être pour la justice sociale, c’est être de gauche, je suis de gauche», quand Chaban parlait de la «Nouvelle société», quand Séguin parlait de la République, cela entrait en résonance avec une histoire. Le RN, comme LFI, comme Renaissance n’est pas une famille politique profondément ancrée dans une histoire comme le fut le RPR avant qu’il ne soit détruit de l’intérieur, ou jadis le parti communiste ou la SFIO du temps de Léon Blum. Au contraire du RPR, le RN cherche à se couper de sa matrice historique originelle : d’un côté le culte du père, de l’autre, le meurtre du père. Cela change beaucoup de choses. Mais c’est à l’épreuve du pouvoir et non dans les discours de campagne et les programmes que nous verrons à quel point. Nous verrons bien.


La dissolution nous a empêchés d’analyser les résultats des Européennes. Que révèlent-ils ?

Que beaucoup de Français ont trouvé l’instrument de leur colère, que cette colère est profonde, que c’est la colère de ceux qu’une partie de la France d’en haut appelle avec une affreuse condescendance «les petits blancs» qui ne veulent plus être oubliés, méprisés, marginalisés économiquement, socialement, culturellement, qui en ont assez de souffrir, qui ne veulent plus être gouvernés comme ils l’ont été lors de la réforme des retraites. C’est une réplique politique en grand des gilets jaunes : on n’a jamais vu un scrutin où un parti à lui tout seul arrive en tête dans 93% des communes. Ce serait une folie de ne pas la prendre au sérieux. Ce n’est pas propre à la France cette révolte du «petit blanc» qui se sent mal et méprisé par ceux qui décident pour lui. Il y a quelques jours, le très sérieux The Economist s’alarmait qu’il soit occulté dans la campagne législative en cours au Royaume Uni. Et regardez les États-Unis.

Cette dissolution loin d’offrir une issue démocratique à la crise profonde que traverse notre société ouvre un peu plus en grand une porte sur la violence et le chaos que les institutions pourraient avoir bien du mal à maîtriser.


Depuis de long mois, vous mettez en garde contre la montée de la violence. Ce danger est-il plus que jamais présent ?

Encore une fois, toute société trop divisée finit toujours par essayer de se réunifier par la violence. La France ne se droitise pas, elle se radicalise et elle se polarise autour de deux blocs qui ont de plus en plus envie d’en découdre et pas seulement dans les urnes, avec un bloc central qui, au fur et à mesure qu’il s’affaiblit, joue de plus en plus en plus avec la politique du «diviser pour régner» qui est la pire de toutes. Dans les circonstances actuelles, la dissolution loin d’apaiser et de clarifier agit, on le voit, comme un accélérateur de la radicalisation de la société et de la montée vers la violence.


Que vous inspire l’alliance nouée par la gauche ? LFI souffle-t-elle sur les braises ?

Elle ne fait que refléter l’état de notre société rongée par les peurs, les frustrations et les colères où chacun fait de l’autre le bouc émissaire de son malheur, où l’adversaire devient l’ennemi. Elle montre que dans l’engrenage de la violence chacun finit toujours par faire ce qu’il avait toujours exclu de faire et finit toujours par contribuer au pire.


Dès lors, comment éviter la guerre civile ?

Cela dépendra, pour l’essentiel, de la capacité à assouplir le carcan juridique, économique, intellectuel qui amène tous les gouvernants, quelles que soient leurs promesses électorales et même leurs convictions, à faire tous à peu près la même politique, en tout cas, perçue comme telle, qui fait souffrir une partie croissante de la société qui n’en peut plus et qui finira par chercher la solution en dehors des urnes. Il nous faut cesser de croire que ce qui est arrivé aux générations d’avant ne peut plus nous arriver.


La fracture démocratique a été aggravée par l’alignement du centre-gauche et du centre-droit sur les politiques européennes. Faut-il voir l’arrivée probable du RN au pouvoir comme une soupape de décompression ?

Quel que soit le résultat de ces législatives, elles seront dans les circonstances actuelles, le climat de fièvre et quinze jours de campagne, un rendez-vous démocratique manqué comme le fut d’ailleurs celui de la présidentielle de 2022 dont nous payons toujours les conséquences. Dans ce climat, dans le contexte institutionnel, le RN est-il bien placé pour assouplir raisonnablement le carcan ? Le voudra-t-il ? Le pourra-t-il ? L’histoire le dira. Mais cette dissolution loin d’offrir une issue démocratique à la crise profonde que traverse notre société ouvre un peu plus en grand une porte sur la violence et le chaos que les institutions pourraient avoir bien du mal à maîtriser. J’espère que l’histoire me donnera tort.


*Henri Guaino est ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée (2007-2012), ancien commissaire au plan (1995-1998), ancien chargé de mission auprès de Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale (1993), ancien conseiller auprès de Charles Pasqua (1994-1995), inspirateur de la campagne présidentielle de Jacques Chirac (1995) autour de la «fracture sociale». Dernier livre paru : «À la septième fois, les murailles tombèrent» (Éditions du Rocher, 2023).