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Une communication du MIL
CHARLES PASQUA, L'HOMME DE L'OMBRE DE LA REPUBLIQUE
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Valeurs actuelles interroge l'historien du Gaullisme et ancien conseiller ministériel, Pierre Manenti à l'occasion de sa publication d'une biographie consacrée à l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua. «Charles Pasqua a transformé la manière de faire de la politique» a déclaré Pierre Manenti.
Valeurs actuelles. Il y a dix ans, le 29 juin 2015, Charles Pasqua s’éteignait à l’âge de 88 ans. Une décennie après sa disparition, son nom semble comme absent du débat politique, en particulier à droite. Pourtant, ses idées sur la sécurité et l’immigration sont toujours d’actualité. Que reste-t-il aujourd’hui du «pasquaïsme» ?
Pierre Manenti. S’il est vrai que les dernières années de sa vie politique l’ont tenu à l’écart de la lumière, la récente actualité semble pourtant redonner certaines couleurs à Charles Pasqua – qu’on pense aux débats sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration de Gérald Darmanin, en 2023-2024, à l’issue desquels Olivier Marleix déclarait que «La droite Pasqua est de retour» , ou encore à l’action de Bruno Retailleau, Place Beauvau, que certains n’ont pas hésité à comparer avec son lointain prédécesseur, en affirmant qu’il en endossait le costume à la suite de ses premières actions et récemment encore dans son bras de fer avec l’Algérie. Longtemps considéré comme une voix forte mais aussi, disons-le, comme un franc-tireur, le «poil à gratter de la droite», Charles Pasqua revient brusquement dans l’actualité, car son franc-parler, sa détermination, sa main ferme qui ne tremblait pas sont autant de qualités recherchées chez nos politiques alors que les crises se multiplient. Il y a une aspiration à la parole libre, assumée, parfois même décomplexée. Le pasquaïsme est une forme de réalisme face aux menaces du monde.
Malgré sa mort, en quoi incarne-t-il aujourd’hui encore une certaine idée de la droite ?
Charles Pasqua est le résultat de la rencontre de plusieurs courants de la droite. C’est d’abord un enfant du gaullisme, passé par la résistance et les rangs du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti créé par le général de Gaulle en 1947, fantassin de première ligne de tous les combats gaullistes dès la IVe République. Son gaullisme est d’ailleurs intégral au point qu’il parle du Général en disant qu’il est, pour lui, «Clovis, Charlemagne, Jeanne d’Arc et Napoléon à la fois». C’est ensuite un apôtre du chiraquisme, compagnon de route de Jacques Chirac dès 1965, bâtisseur, avec lui, du Rassemblement pour la République (RPR) en 1976, autant porte-flingue que petite main dans de nombreux combats et notamment dans la transformation de la droite gaulliste sous l’impulsion de ce nouveau chef. Et puis, c’est aussi l’incarnation d’un souverainisme à la française, l’hériter d’une droite nationaliste et patriote, fière de ses couleurs tricolores, de ses terroirs, de son histoire. C’est, enfin, l’homme d’une droite populaire, d’une droite des réalités, du quotidien, du terrain, qui aime prendre les problèmes à bras le corps, qui dit les choses même lorsqu’elles fâchent, qui se moque des convenances mais érige l’intérêt du pays au-dessus de tout… ce que beaucoup de Français attendent aujourd’hui de leurs élus !
Charles Pasqua grandit dans une famille corse, mais dans les Alpes-Martitimes, loin de son île de Beauté. Toutefois, il n’a jamais caché ou renoncé à ses racines corses. Quelle importance ont eu ces racines dans son parcours politiques ?
Il y a d’abord, et j’y reviens longuement dans cette biographie, un «drame» familial, puisque ses parents se rencontrent et s’aiment malgré l’interdit de leurs familles respectives, étant contraints à l’exil à Grasse, dans les Alpes-Maritimes dans l’entre-deux-guerres. Cela participe pleinement à l’histoire de Charles Pasqua, qui tient parfois du roman ! En même temps, le jeune Charles grandira ensuite entouré de ses deux grands-pères corses qui lui apprennent la lingua corsa, le culte du silence, l’amour de la terre, etc. Il sera, toute sa vie durant, fidèle à cette identité corse, s’entourant de nombreux compatriotes insulaires dans l’aventure politique, comme Achille Peretti ou René Tomasini, dont le fils sera plus tard un de ses collaborateurs. Son dernier livre, paru sous la forme d’entretiens avec le journaliste Jean-François Achilli en 2015, s’intitule d’ailleurs Le Serment de Bastia, en hommage au serment prêté par Jean-Baptiste Ferracci, président des anciens combattants corses, le 4 décembre 1938, à un moment où l ’Italie fasciste rêvait d’annexer l’île de Beauté : «Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français». Un serment que le père de Charles Pasqua fait, à l’époque, broder sur la chemise de ses deux petits garçons.
L’ancien ministre de l’Intérieur possède deux décorations sur son CV : la médaille commémorative de la France libre et la croix du combattant volontaire de la résistance. Concrètement, qu’a-t-il accompli dans les rangs de l’armée des ombres pendant l’Occupation ?
Si Charles Pasqua n’a jamais caché ses activités résistantes, il était cependant relativement discret sur les combats menés, alors même que ses faits de guerre sont héroïques. Il s’engage en effet dans la résistance alors qu’il a tout juste 16 ans, déterminé à contribuer à cette lutte de l’ombre. Il en parlait avec beaucoup de pudeur, comme de nombreux hommes de sa génération. Son oncle, Philippe Pasqua, a créé un des premiers réseaux de résistance à Grasse, «Tartane-Phratrie», embarquant toute la famille derrière lui dans la lutte contre l’occupant italien puis allemand. Après son arrestation, c’est le père de Charles Pasqua qui reprend la tête de ce réseau, fournissant de précieuses informations aux Alliés, en même temps qu’il produit de faux papiers d’identité pour la résistance locale. Au moment du débarquement de Provence, le père est arrêté et torturé, Charles prenant alors le maquis avec les siens puis se battant furieusement, les armes à la main, pendant l’été 1944, jusqu’à déminer un champ de mines avec un couteau, ce qui lui vaudra, quarante ans plus tard, un diplôme de démineur lorsqu’il deviendra ministre de l’Intérieur ! C’est son père qui le retient par le col, après deux ans de combats dans l’ombre, en lui demandant de reprendre ses études à l’automne 1944 et de ne pas suivre les armées françaises dans la poursuite des combats, car Charles Pasqua aurait préféré s’engager dans leur sillage, mû par un désir de revanche. La résistance a été une véritable formation à la vie pour lui.
C’est l’organisateur hors-pair et foisonnant d’idées qui entre à l’Assemblée nationale à la fin des années 1960. Dans l’aventure du RPR, il mettra à profit ces techniques en contribuant à créer une véritable identité de marque autour de Jacques Chirac…
C’est aussi par admiration envers le général de Gaulle qu’il s’est engagé en politique. En quoi le gaullisme de Pasqua différait-il de celui d’autres figures de son époque, tels Jacques Chaban-Delmas ou Pierre Mesmer ?
Tout à fait, c’est par fidélité au général de Gaulle, qu’il connaît d’abord comme «le chef des Français qui résistent», qu’il s’engage au sein de son Rassemblement du peuple français (RPF) en 1947, faisant ses «classes politiques» auprès de grands résistants comme René Capitant ou Camille Rayon. Il aura toujours beaucoup de respect pour les anciens combattants, comme Chaban ou Messmer – c’est d’ailleurs, en 1974, ce qui le différencie de Chirac, qui soutient Giscard d’Estaing, lui préférant alors soutenir, avec loyauté et par fidélité à la résistance, dit-il, Chaban, un Compagnon de la Libération ! Chaban comme Messmer sont toutefois des hommes plus âgés que lui, d’une dizaine d’années, et tous les deux ont d’ailleurs des responsabilités nationales avant lui, Chaban étant député dès 1946, Messmer étant ministre du général de Gaulle en 1960, alors que Pasqua n’est élu député pour la première fois qu’en 1968. Il reproche au premier une vision trop large du gaullisme, trop d’ouvertures à gauche, trop de compromis ; il reconnaît, par contre, au second, d’avoir tenu le cap dans la tempête de 1968 et il en sera d’ailleurs un des lieutenants sous la présidence de Georges Pompidou, lui succédant notamment à la tête de l’amicale Présence et action du gaullisme, un club des parlementaires déterminés à défendre une vision authentique et intégrale du gaullisme.
Charles Pasqua est donc un politique atypique pour son temps, venant du privé, et plus particulièrement de la société Ricard. En quoi son expérience dans l’entreprise a-t-elle façonné sa vision politique ?
C’est vrai, lorsqu’il se fait élire pour la première fois, en 1968, après avoir notamment participé à l’organisation de la manifestation gaulliste sur les Champs-Elysées, c’est un homme qui vient du privé. Il a passé quinze années auprès de Paul Ricard, débutant tout en bas de l’échelle comme simple commercial dans un petit secteur marseillais avant de devenir le n°2 du groupe. Il y a profondément révolutionné les méthodes de vente, développant ce qu’on appelle aujourd’hui le marketing, faisant produire des casquettes, des brocs, des cendriers estampillés «Ricard», et puis mettant en place des équipes de choc pour commercialiser le pastis partout en France et à l’étranger. C’est l’organisateur hors-pair et foisonnant d’idées qui entre à l’Assemblée nationale à la fin des années 1960 ; dans l’aventure du RPR, il mettra à profit ces techniques en contribuant à créer une véritable identité de marque autour de Jacques Chirac, avec là encore, des casquettes, des pin’s, des banderoles et même des chansons, comme le tube Chirac pour Paris, produit en 1977, au moment de la campagne des municipales. C’est un mobilisateur de militants mais c’est aussi un transformateur de la manière de faire de la politique.
Gaulliste convaincu, donc, il prend la direction d’un mouvement, aujourd’hui contesté, le Service d’action civique (SAC). On lui reproche ses méthodes douteuses et sa potentielle implication dans différentes affaires, notamment l’assassinat de Robert Boulin. Qu’en est-il réellement ?
La carrière politique de Charles Pasqua est indissociable de l’histoire du SAC, dont il est en effet un cadre régional à partir de 1962 puis national à partir de 1965. Pour autant, il n’est pas responsable des dérives du service d’ordre, qui est mêlé à plusieurs affaires d’escroquerie et même à des assassinats dans la seconde moitié des années 1960, essentiellement alors du fait de militants douteux, issus du Milieu… et d’ailleurs pas toujours membres du SAC. Il y a une légende noire autour de ce service d’ordre, qui est souvent racontée à la manière d’un pêle-mêle, qui souffre d’approximations et qui a parfois été enjolivée. Cette participation au SAC est souvent présentée comme la part d’ombre du personnage, c’est pourquoi j’ai voulu y revenir assez longuement dans le livre, pour démêler le vrai du faux, et expliquer aussi pourquoi il s’en revendiquait parfois, préférant, suivant le bon conseil de Machiavel, être craint qu’être aimé. S’agissant plus particulièrement de la mort de Robert Boulin, affaire qui a connu un rebondissement en 2022, suite à un nouveau témoignage dont la presse a beaucoup parlé à l’automne 2024, il faut, là aussi, se prémunir des raccourcis. Charles Pasqua a été exclu du SAC en 1969, soit dix ans avant la mort de Boulin, en 1979, et s’il garde évidemment des connexions, renforcées par son rôle auprès de Chirac au sein du RPR, il n’est cependant plus aux manettes comme il pouvait l’être à l’époque du général de Gaulle. Dans cette affaire, comme dans beaucoup d’autres, «Pasqua» est un peu le nom de tout ce qui sent le soufre alors que la réalité est beaucoup plus complexe.
L’un de vos chapitres s’intitule le «porte-flingue de Chirac», expression que vous venez d’ailleurs à nouveau d’employer. Comment sa relation avec Jacques Chirac a-t-elle évolué au fil du temps ?
Les deux hommes se rencontrent pour la première fois en 1965, à l’initiative de Jacques Foccart, le monsieur Françafrique du général de Gaulle, auquel j’ai consacré un précédent ouvrage. C’est un «coup de foudre» politique. Charles Pasqua le soutient aux législatives de 1967 en Corrèze, l’encourage dans sa carrière politique, notamment sous la présidence de Georges Pompidou, puis joue les rôles d’intermédiaire entre Chirac, Premier ministre de Giscard d’Estaing en 1974, et un parti gaulliste, l’UDR, traumatisé par l’échec de son candidat, Chaban, et la trahison d’une partie de ses cadres. Les deux hommes vont par la suite créer un nouveau parti, le RPR, en 1976, qui remplace le mouvement gaulliste, faisant entrer la droite dans une nouvelle ère. Chirac sera toujours reconnaissant à Pasqua de son aide dans ces moments difficiles. Il en fera son directeur de campagne pendant la présidentielle de 1981 puis son ministre de l’Intérieur en 1986. Après la présidentielle de 1988, quelque chose se brise toutefois entre eux. Pasqua est persuadé que Chirac est mal entouré, qu’il fait la course aux centristes, qu’il a perdu sa boussole gaulliste. Il s’oppose donc à lui, avec Philippe Séguin, en 1990 puis en 1992, au moment du traité de Maastricht ; il choisit également de soutenir Balladur lors de la présidentielle de 1995 ; et puis, en 1999, il fait carrément bande à part en portant une liste indépendante et souverainiste aux élections européennes, en tandem avec Philippe de Villiers, qui fait un meilleur score que la liste RPR de Nicolas Sarkozy. C’est une relation par éclipse, qui n’empêche pas une profonde amitié, estime et loyauté, qui conduiront notamment Pasqua à renoncer à se présenter à l’élection présidentielle de 2002.
Pasqua, fils de policier et lui-même détective privé au début de sa vie, détonnait dans le paysage gaulliste par rapport à une génération d’hommes plus policés.
En quoi son style tranchait-il avec celui d’autres responsables politiques du RPR ?
Charles Pasqua était inimitable. Avec sa gouaille, son accent, son sens de la formule, c’était un orateur hors-pair, très respecté, et puis un meneur d’hommes, qui savait mobiliser des militants, organiser des meetings, sécuriser une campagne ou un déplacement. Au début du RPR, cela lui a valu quelques inimitiés, à l’image de Bernard Pons ou d’Yves Guéna, dont je raconte dans le livre qu’il était persuadé que Charles Pasqua voulait lui imposer un chauffeur afin de savoir où il allait, qui il rencontrait, bref mener une véritable enquête policière sur lui, afin de pouvoir éventuellement le faire chanter. Pasqua, fils de policier et lui-même détective privé au début de sa vie, détonnait dans le paysage gaulliste par rapport à une génération d’hommes plus policés, ayant fait de grandes écoles ou venant de la haute fonction publique. Par la suite, notamment après 1981, il a su lisser son image, devenant président du groupe RPR au Sénat puis prenant des habits d’homme d’État après ses deux passages au ministère de l’Intérieur, en 1986-1988 et 1993-1995. Il ne s’est pourtant jamais départi d’une forme de bon sens populaire. Il aimait les gens, leur franchise, les discussions sincères et cela rejaillissait sur sa manière de faire de la politique.
Quel rôle ont joué ses «réseaux» dans sa carrière politique ?
Si vous entendez par là ses réseaux «politiques», c’est évidemment le Pasqua mobilisateur qui s’impose dans l’aventure du RPF, du SAC ou même du RPR, avec sa «démocratie des autocars», capable de réunir des dizaines de milliers de personnes en quelques semaines pour un meeting électoral. Ses amitiés nouées dans la résistance, dans les services d’ordre des différents partis gaullistes, dans les rangs militants lui sont très utiles, car il a des contacts partout, ce qui lui permet, en un bref coup de téléphone, de prendre le pouls du terrain ou d’organiser les choses à distance. Si vous pensez à ses «réseaux» de l’ombre, plus sulfureux, plus difficiles aussi à cerner, ils ont certes joué un rôle, mais plus ténu dans sa carrière. Ils ne lui ont cependant pas été inutiles. Je pense notamment à la traque puis à l’arrestation du terroriste Carlos au Soudan, dans laquelle ces fameux réseaux ont été bien utiles à la France, ou dans les opérations de libération d’otages dans les années 1980 et 1990. C’est un tout et c’est parce que Charles Pasqua a des connexions qu’il prend du galon au sein de la droite, mais il ne faut pas imaginer la toile de ceux qui l’entourent comme une pyramide dont il serait le sommet. Il s’agit plutôt d’une suite de cercles concentriques, pas toujours poreux entre eux, dont il sait se servir en cas de besoin mais qui ont aussi leur autonomie, ce qui lui causera beaucoup de tracas judiciaires à la fin de sa vie.
C’est aussi la fin de la première génération du RPR, ceux qui étaient là au tout début de l’aventure chiraquienne, qui ont façonné la droite de l’après-de Gaulle.
À deux reprises, de 1986 à 1988 puis de 1993 à 1995, le Corse occupe le poste de ministre de l’Intérieur. La méthode Pasqua continue d’inspirer ses lointains successeurs à droite. Concrètement, quel bilan tirez-vous de son passage dans ce ministère ?
C’est un bilan très riche, avec deux lois, dites lois Pasqua, celle du 9 septembre 1986, qui encadre les conditions d’entrée des étrangers en France et facilite les procédures d’expulsion, quelques actions très fortes et symboliques ayant d’ailleurs eu lieu à l’époque, ce qui avait provoqué la colère de la gauche, et puis celle du 29 août 1993, qui serre encore plus la vis, ainsi en interdisant l’octroi d’une carte de résident à une personne condamnée par la justice française, à une personne vivant en situation de polygamie, ou encore obligeant des enfants mineurs nés en France de parents étrangers à demander la nationalité française à la majorité, afin que celle-ci ne soit plus «automatique» mais souhaitée. Ce «bouquet législatif» s’est adossé à de nombreuses mesures prises pour lutter contre le terrorisme, l’ultra-violence, mais aussi rapprocher la police de la population. En outre, pendant son deuxième passage Place Beauvau, Charles Pasqua a également hérité du portefeuille de l’Aménagement du territoire, auquel il a consacré une loi, celle du 4 février 1995, qui a complètement repensé l’organisation du territoire, l’appui de l’État aux collectivités territoriales et a défini des zones prioritaires d’aménagement, notamment en ruralité. Contrairement à l’image parfois véhiculée de «magouilleur» ou de «politicien», Charles Pasqua était un gros bosseur qui a toujours traité ses sujets sur le fond, comme député, comme sénateur mais aussi comme ministre.
En 1992, il est le héraut du «Non à Maastricht» avec son acolyte, Philippe Séguin. Sa position souverainiste ne varie pas en 1997 comme en 2005. Pourquoi toute sa vie s’est-il opposé à la construction européenne ?
C’est le troisième acte de sa vie politique, après son compagnonnage avec le général de Gaulle et Chirac. Sans être contre l’Europe en tant qu’idée, Pasqua était très inquiet d’une bureaucratisation à outrance pilotée depuis Bruxelles – il évoque ainsi, dans un de ses livres, la volonté de l’Europe d’harmoniser la taille des fauteuils des tracteurs ou le régime alimentaire des Européens ! Il s’opposait aussi à la poussée fédéraliste de l’époque, estimant qu’il fallait défendre une souveraineté française mise à mal par le renforcement des pouvoirs de Bruxelles, dit autrement, il craignait de voir advenir une nation française dépossédée de certaines de ses prérogatives dans des secteurs pourtant essentiels. C’est un combat qu’il va mener d’arrache-pied en 1992, bien sûr, qui est un grand moment de militantisme et dont ses proches parlent encore avec émotion, mais ensuite jusqu’à sa mort. C’est avec cette même conviction qu’il va notamment s’opposer aux évolutions européennes de 1997 et de 2005. C’est aussi ce qui le décide à prendre du champ avec le RPR, notamment au moment des européennes de 1999, lorsqu’il tend la main aux souverainistes des deux rives, Philippe de Villiers, à droite, qui le rejoint et porte avec lui ce combat, mais aussi Jean-Pierre Chevènement, à gauche, qui ne franchira finalement pas le Rubicon. Ce qui l’animait, c’était le souci que la France garde son rang, son indépendance, et finalement, un peu comme lui, sa liberté de ton et de décision.
Charles Pasqua achève sa carrière politique, avec un dernier mandat de sénateur des Hauts-de-Seine, entre 2004 et 2011. Peut-on le considérer comme le dernier des «grands fauves» de la politique française ?
Oui, c’est une expression qui me semble tout à fait appropriée, car sa disparition, en 2015, marque la fin d’une époque. Le soleil se couche sur l’épopée des vieux militants gaullistes, ceux qui sont nés dans l’épreuve de la résistance, qui sont passés par les rangs du RPF sous la IVe République, qui ont vécu l’émotion du retour au pouvoir en 1958, et la crise, dix ans plus tard, de mai 1968. Ils ne sont aujourd’hui guère plus nombreux, malheureusement. C’est aussi la fin de la première génération du RPR, ceux qui étaient là au tout début de l’aventure chiraquienne, qui ont façonné la droite de l’après-de Gaulle. Je pense à Jérôme Monod, disparu en 2016, à Bernard Pons, qui nous a quittés en 2022, et bien entendu à Marie-France Garaud, décédée en 2024. Pasqua, c’était une gueule, un parcours, un engagement, une vie et un destin, au fond ; et c’est ce que j’ai voulu raconter à travers ce livre. Mais sa mort n’est pas une fin en soi. Ses combats, son rapport à la France et aux Français, sa vision de la droite et du gaullisme ne se sont pas éteints avec lui. Au moment de son enterrement, Henri Guaino a eu une très belle formule, que je trouve fort à propos : «Une légende ne meurt jamais. Elle ne meurt que parce qu’on cesse de la transmettre».
Repris de Valeurs Actuelles du 27 janvier 2025
«Charles Pasqua, l'homme de l'ombre de la République» par Pierre Manenti, chez Passés Composés.
Voici la communication du MIL du 29 juin 2015 sur Charles Pasqua
CHARLES PASQUA, UNE VIE AU SERVICE DE LA FRANCE ET DU GAULLISME
Christian Labrousse, président du M.I.L et le bureau national font part de leur très vive émotion et de leur tristesse à l’annonce du décès de Charles Pasqua, militant gaulliste depuis son plus jeune âge.
«On ne comprend rien de moi si l’on ne comprend pas que je suis un militant», avait coutume de lancer Charles Pasqua. Pour comprendre ce qu’il voulait alors dire, il faut d’abord revenir aux 15 ans de ce petit-fils de berger corse, de ce fils de policier, et sentir le soleil et les parfums de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Le jeune Charles y est né le 18 avril 1927, dans une famille de patriotes farouches, comme le sont parfois les Corses.
Après l’invasion de la zone libre par les armées nazies en novembre 1942, il s’engage dans la Résistance, sous le pseudonyme de Prairie. En fait, son père, André, est déjà membre d’un réseau et établit de fausses cartes d’identité de son commissariat. De son côté, Charles fait partie d’un groupe de jeunes gens qui rejoindront bientôt la France libre du général de Gaulle. De là datera son attachement à l’homme du 18 Juin, qu’il rejoindra après la guerre, dès sa fondation en 1947, le RPF. Il a repris ses études, passé son bac et une licence de droit.
Ensuite, Charles Pasqua intègre l’entreprise Ricard. Il va être bombardé inspecteur des ventes en Corse, puis grimper tous les échelons jusqu’à la direction générale des ventes en France et à l’exportation, en 1962, naviguant de la Corse à Marseille pour atterrir à Paris. En 1967, il est devenu le numéro deux du groupe Ricard jusqu’en 1969.
En 1947, sous le parrainage de Jacques Foccart, est créé le service d’ordre du RPF par Dominique Ponchardier et son adjoint Pierre Debizet, ainsi que Paul Comiti. Puis il se transformera en association de fait en 1958, le Service d’action civique (SAC). Cette association sera créée officiellement le 15 décembre 1959 puis déclarée à la préfecture de Paris le 4 janvier 1960. Pierre Debizet a été le premier président en 1959-1960 et démissionnera à cause de la politique algérienne. Ensuite, Paul Comiti en fut le président du 1er avril 1960 à 1969. Charles Pasqua a rejoint l’association fin 1962 et la quittera à l’automne 1969. Il sera nommé Vice-président début 1965 et il intégrera le Bureau national à partir de 1967 jusqu’au retour de Pierre Debizet le 3 octobre 1969. Charles Pasqua sera un des organisateurs, grâce aux militants civiques, de la manifestation raz-de-marée gaulliste du 30 mai 1968 sur les Champs-Elysées.
Ces derniers titres furent : ancien ministre d’Etat, ancien président d’honneur du conseil général des Hauts de Seine, parlementaire honoraire.
Il a assumé de très nombreuses responsabilités, notamment : Ministre d'État ; Ministre de l'Intérieur de 1986 à 1988 et de 1993 à 1995 ; Député des Hauts-de-Seine de 1968 à 1973 ; Député européen de 1999 à 2004 ; Conseiller régional d'Île-de-France ; Président du conseil général des Hauts-de-Seine (de 1973 à 1976 puis de 1988 à 2004) ; ancien conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine ; ancien Sénateur des Hauts de Seine (du 11 mai 1988 au 29 avril 1993 puis de 1995 a 2011).
Malgré toutes ces fonctions, Charles Pasqua est resté le premier des militants. Il a été de tous les combats pour les valeurs gaullistes et la France. Il était un grand patriote. Il avait ardemment combattu le Traité de Maastricht.
Sur France Info jeudi 5 juin 2015, Charles Pasqua a parlé de son engagement dans la Résistance en déclarant «L'essentiel, c'est la capacité de refuser ce qui apparaît au plus grand nombre inévitable». Certaines de ses formules ont marqué l’opinion : «Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent», «La politique, ça se fait à coups de pied dans les couilles», «On est plus fidèle à sa nature qu’à ses intérêts», «il faut terroriser les terroristes».
Gaulliste sincère, militant engagé, Charles Pasqua était membre du comité d’honneur du Mouvement Initiative et Liberté (M.I.L), nous avons mené de nombreux combats ensemble. Il a de nombreuses fois pris la parole dans les conventions nationales de notre mouvement. Le Mouvement Initiative et Liberté (M.I.L) perd l’un des siens et la France perd un grand serviteur.