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VI­GILANCE & AC­TION - N° 467 Mai-Juin 2024   

       


LES COMMUNICATIONS ÉCRITES DU M.I.L


PÉRIODE MACRON, LE DÉBUT DE LA FIN


Communication du MIL du 16 mai 2024


La prévision des résultats de l'élection européenne pose problème à Macron. Dans les récents sondages, sa liste enregistre environ 16% d'intention de vote. Il souhaite approcher et dépasser 20% des suffrages. En 2019, la liste macroniste avait obtenu 22,4% des suffrages. Or, il semble acquis que ce scrutin va se jouer principalement sur des enjeux nationaux, et non pas «européens». Les enjeux européens sont difficiles à maitriser pour l'électeur. De plus, les rapports de force auxquels vont conduire les résultats des élections dans les 27 pays membres restent évidemment incertains.


Le résultat du scrutin devrait se traduire par un rejet de Macron et de sa politique nationale (retraite à 64 ans, loi immigration largement insuffisante, réduction de l'indemnisation chômage, crise du logement, déficit public…). Son soutien personnel à la liste Renaissance-MoDem-Horizons n'étant pas efficace, il mobilise Attal et ses ministres pour la soutenir. Le premier ministre, resté en retrait de la campagne, est obligé de se mettre en avant. Il portera, automatiquement, l'échec d'un mauvais résultat lors de l'élection européenne de juin.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) considère que le seul résultat significatif du scrutin sera le score de la liste Macron et la fonte de son noyau d'électeurs, et non la nature des votes de rejet.

Le programme de la liste macroniste comprend 48 propositions pour la politique de l'Union européenne. Il s'inscrit dans la perspective d'une Europe fédérale, «une Europe plus forte et plus unie», avec un renforcement du rôle et des compétences de l'Union européenne (UE) sur tous les sujets, avec un abandon du contrôle des États-nation sur les décisions stratégiques et financières. La réalisation de cette approche apparait improbable sur la plupart des sujets. Elle nécessiterait à la fois le soutien de la Commission européenne, une majorité au Parlement européen et une unanimité entre les représentants des pays membres de l'UE. Enfin, selon les prévisions actuelles, le groupe parlementaire Renew, auxquels appartiennent les macronistes, devrait voir son poids diminuer dans cette assemblée à l'issue des élections.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) rappelle que l'élection européenne ne peut, en aucun cas, être considérée comme une précampagne de la présidentielle de 2027. Les producteurs de sondage publient des éventuelles intentions de vote pour une présidentielle. Il s'agit, pour ces sociétés, de gagner de l'argent grâce aux médias-clients qui en sont très friand, notamment pour promouvoir des candidats. Mais, ce scrutin aura lieu dans trois ans. La situation politique en 2027 n'est absolument pas prévisible sur le plan national et international. Les candidats sont loin d'être tous connus et il peut toujours y avoir des évènements, non-prévus, qui peuvent empêcher une candidature.


Il semble improbable que Macron prenne le risque de dissoudre l'Assemblée nationale ou qu'il démissionne. Il devrait donc continuer à jouer avec prudence afin d'éviter le vote d'une motion de censure. Ainsi, pour éviter un vote de censure, il a abandonné le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative pour 2024. Il ne dispose plus de beaucoup de possibilités d'action. Pour contourner les groupes parlementaires d'opposition, Il a un recours systématique aux dispositions réglementaires en raison d'une impossibilité à faire adopter des projets de loi importants. Le faible score de sa liste à l'élection européenne va marquer la situation.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) estime que nous entrerons, au second semestre 2024, dans le début de la fin de la période Macron. Son seul objectif est d'occuper le terrain médiatique. Macron accumule les discours et entretiens, pour présenter des projets et des regrets. Il multiplie les commémorations et les réceptions officielles internationales. Il va exploiter à fond sa présence à l'occasion des Jeux Olympiques de cet été. Mais la rentrée politique devrait être rude pour Macron.


Macron va conserver sa coalition jusqu'en juin 2024. Les chefs des partis macronistes figurent sur la liste : Edouard Philippe (Horizons), François Bayrou (MoDem) et Stéphane Séjourné (Renaissance), jusqu'à Elisabeth Borne en dernière position. Le renouvellement des élus sortants dans les places éligibles a été privilégié par Macron, comme par exemple ceux de Gilles Boyer et de Nathalie Loiseau pour Horizons.


Ensuite les candidats à la présidentielle de 2027, issus du macronisme, devraient se déclarer progressivement (Attal, Bayrou, Philippe). La difficulté sera, pour eux, de présenter un programme présidentiel en se démarquant mais sans se démarquer de Macron. Ils devront développer, avec adresse, des critiques vis-à-vis de la politique menée depuis 2017, à laquelle ils ont apporté un plein soutien, à quelques détails près.



L'INQUIÉTANTE DÉRIVE DE LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT EN MATIÈRE MIGRATOIRE

Communication du MIL du 24 mai 2024


Tribune de Philippe Fontana* parue dans Le Figaro du 22 mai 2024


Le nihil obstat délivré par le Conseil d'État au financement, par les collec­tivités territoriales, des associations qui font entrer en Europe des immi­grants illégaux illustre une inquiétan­te évolution de la jurisprudence dans le contexte migratoire actuel. Dans son arrêt du 13 mai 2024, le Conseil d'État juge en effet légale la subvention accordée par la ville de Paris à l'as­sociation SOS Méditerranée, dont l'activité consiste à affréter des navires (l'Aquarius, l'Ocean Viking) afin d'aider les migrants à rejoin­dre l'Union européenne.


L'arrêt du 13 mai dernier est en contradiction avec une décision de 1989, «Commune de Pierre­fitte-sur-Seine». Cette municipalité communiste, associée à d'autres communes de l'ancienne «ceinture rouge» de Paris, avait financé un «ba­teau pour le Nicaragua», afin d'aider le mouve­ment sandiniste. Le Conseil d'État avait censuré cette aide en jugeant qu'en l'attribuant, ces muni­cipalités avaient entendu «prendre parti dans un conflit de nature politique».


Comment comprendre que la solution ne soit pas la même trente-cinq ans plus tard ? D'abord, par l'intervention du législateur qui, en 2007, puis en 2014, a autorisé les collectivités territoriales à financer des opérations humanitaires sans la contrepartie d'un intérêt local, critère exigé par la jurisprudence administrative antérieure. Tout jus­te doivent-elles œuvrer «dans le respect des enga­gements internationaux de la France». Ensuite, par le fait que le Conseil d'État réduit l'activité de SOS Méditerranée à une intervention humanitaire, sans en relever le caractère politique, et sans voir qu'elle interfère avec la conduite par l'État des re­lations internationales de la France.


Même si la rédaction de la décision s'ingénie à démontrer que la convention passée entre le Conseil de Paris et l'association SOS Méditerranée est fléchée vers un objectif «strictement humani­taire», il est manifeste que tant la finalité de l'ac­tion de SOS Méditerranée que celle du Conseil de Paris (en aidant l'association) ne sont pas seule­ment humanitaires. SOS Méditerranée est une as­sociation dont le but est politique, même si son ac­tion est en partie humanitaire. Sa vocation officielle est certes d'éviter le naufrage des embar­cations de migrants affrétées par des passeurs, mais sa vocation réelle (et publiquement revendi­quée) est de faciliter la migration irrégulière vers la rive nord de la Méditerranée. Dissocier son ac­tion politique et son action humanitaire relève de la casuistique.


La solution retenue dans l'arrêt ville de Paris doit sans doute beaucoup à la sociologie et à l'idéologie (hostile aux mesures restrictives en matière d'immigration) des membres du Conseil d'État et de la haute fonction publique. Il n'est pas anodin que Mathias Vicherat, ancien directeur du cabinet du maire de Paris et ancien directeur de Sciences Po Paris, figure publiquement parmi les soutiens revendiqués de SOS Méditerranée.


La jurisprudence du Conseil d'État est à l'origi­ne, en 1978, du droit au regroupement familial, re­connu sur le fondement d'un «principe général du droit» découvert pour les besoins de la cause. Ce droit s'imposa au gouvernement, malgré la volon­té contraire du président Giscard.


Plus récemment, le Conseil d'État s'est opposé à la pleine transposition d'une directive européenne par la «loi Collomb» de septembre 2018 rendant irrecevable la demande d'asile d'une personne ayant transité par un pays tiers sûr. Or, le détour­nement du droit d'asile explique en bonne partie l'incapacité de l'exécutif à lutter contre l'immi­gration irrégulière. Rappelons que toute personne arrivant sans titre sur le territoire national a le droit de solliciter l'asile et se voit attribuer de ce fait un titre de séjour régulier et des aides sociales. Indiquons aussi que, sur les 167.000 demandes ef­fectuées en 2023, seules 40 % ont abouti, nonobs­tant la jurisprudence libérale de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Or, selon le dernier rap­port de la Cour des comptes, seuls 2 % des dé­boutés voient leur obligation de quitter le territoi­re français (OQTF) exécutée d'office.


La lecture des rapports d'activité de l'associa­tion SOS Méditerranée permet d'apprendre qu'une des nationalités les plus représentées dans les personnes secourues est celle provenant du Bangladesh. Or, c'est l'une de celles qui rencon­trent le plus fort taux de rejet de ses demandes, celles-ci étant en réalité motivées par des raisons économiques.


Le périple de l'Ocean Viking débarqué à Toulon en novembre 2022 illustre les conséquences prati­ques de l'action de SOS Méditerranée. Débordée par l'afflux, malgré la création d'une zone d'atten­te spéciale, la justice avait libéré quasiment tous les passagers, qui s'étaient ensuite fondus dans la nature. Il est clair (même si, pour le Conseil d'État, «cela ne résulte pas des pièces du dossier») que cette association interfère directement avec la po­litique française en matière d'immigration. Pour autant, la juridiction administrative ne retient aucune interférence avec la conduite par l'État des relations internationales de la France.


Elle n'arrive à cette conclusion qu'en triant les faits à sa convenance. Elle considère en effet que l'association a déféré aux autorités des États de l'Union européenne ayant refusé le débarquement des navires de l'association. Or l'Italie, dont le nom est pudiquement omis par la décision, a sanctionné SOS Méditerranée, puisque, le 15 novembre 2023, vingt jours d'immobilisation et une amende ont été infligés à l'Ocean Viking. Le choix, par l'associa­tion, du port d'Ortona, à plusieurs jours de naviga­tion de la zone de sauvetage des migrants, était en effet contraire au décret Piantedosi, nom du minis­tre de l'Intérieur du gouvernement Meloni.


Plus surprenant encore, le Conseil d'État ne voit aucun contournement par SOS Méditerranée des politiques migratoires de la France et de l'Union européenne. La déclaration de Malte du 3 février 2017 sur les aspects extérieurs de la migration est pourtant claire : «Il est primordial, pour une politi­que migratoire durable, d'assurer un contrôle effi­cace de nos frontières extérieures et d'endiguer les flux illégaux en direction de l'UE».


L'arrêt ville de Paris illustre, une nouvelle fois, la réalité d'un gouvernement des juges qui creuse toujours plus le fossé entre le peuple, au nom du­quel les jugements sont rendus, et l'élite à laquelle appartiennent les membres du Conseil. Selon un récent sondage, 68 % des Français sont opposés à l'octroi de subventions publiques aux associations favorisant la migration irrégulière. Il faut au moins, en l'espèce, abroger les dispositions légis­latives ayant permis au Conseil d'État de rendre une décision aussi contraire à la volonté de nos concitoyens.


Dans L'Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville notait qu'à la veille de cette dernière, «les princes et leurs ministres manquent même de ce pressentiment confus qui émeut le peuple». N'est-il pas temps que le Palais-Royal prenne conscience des aspirations du peuple?


* Philippe Fontana est avocat. Il est l'auteur de «La Vérité sur le droit d'asile» (Éditions de l'Observatoire, 2023).



«MARIE-FRANCE GARAUD, LA GRANDE DAME D'UNE ÉPOQUE OÙ LA POLITIQUE ÉTAIT ENCORE UN MONDE DE GÉANTS»

Communication du MIL du 28 mai 2024


Tribune d'Henri Guaino* parue dans Le Figaro du 25 mai 2024


Madame Marie-France Garaud est morte. Mais qui se souvient que cette grande dame fut longtemps l'une des femmes les plus influentes de France ?


Qui d'ailleurs sait encore, dans le monde d'aujourd'hui, ce que signifiait dans celui d'hier cette expression : «grande dame», ce qu'elle évoquait de dignité, d'exigence vis-à-vis de soi-même, de capacité à se vouer à des causes plus grandes que soi et à s'effacer derrière elles. «Grande dame», «grand monsieur», c'était ainsi que l'on appelait ceux qui ne consentaient jamais à s'abaisser, non par orgueil mais parce qu'ils savaient au fond d'eux-mêmes que l'on ne pouvait rien accomplir d'estimable dans la petitesse. Bien souvent, ces grands caractères ne sont pas commodes, pas accommodants. Mme Marie-France Garaud était de ceux qui l'étaient le moins. Ce sont des caractères qui ne peuvent pas gouverner parce que leur intransigeance ne leur permet pas, le moment venu, de faire les concessions nécessaires pour surmonter les conflits et faire retomber les passions qui s'enflamment. Mais ils sont cette force de rappel si nécessaire à la politique quand elle est tentée de trop céder.


Le personnage de Marie-France Garaud est né dans une époque où la politique était encore un monde de géants. Elle a connu de Gaulle, servi Georges Pompidou, mené la guérilla contre Jacques Chaban-Delmas lorsqu'il était premier ministre, essayé de promouvoir la candidature de Pierre Messmer à la présidence de la République, fomenté la rébellion de Jacques Chirac contre Chaban puis contre Valéry Giscard d'Estaing. Elle enfanta le RPR, machine de guerre contre le giscardisme et contre la gauche. L'assaut de Chirac sur la Mairie de Paris, ce fut-elle encore… Monde violent, impitoyable, où la politique était encore une figure du destin pour des hommes auxquels les grandes épreuves qu'ils avaient traversées avaient donné le sens du tragique de l'histoire, et autour de laquelle s'affrontaient sans merci hommes d'État, grands fauves de la politique et politiciens opportunistes.


Ce fut contre ces derniers qu'elle eut la dent la plus dure, ce fut pour eux qu'elle eut les mots les plus féroces, pour lesquels elle avait un talent inégalable. Elle leur déclara une guerre totale qu'elle perdit au fur et à mesure que les hommes d'État et les grands fauves quittaient la scène et que les politiciens ordinaires prenaient toute la place. Parfois excessive, quelquefois injuste, comme peuvent l'être à certains moments toutes les personnalités de cette trempe, elle tenait sa ligne contre les tièdes, les mous, contre tous ceux dont elle jugeait la plasticité des convictions trop grande pour que l'on puisse se fier à eux. Contre eux, ni sa main, ni sa plume, ni sa parole ne tremblaient.


Elle se fit ainsi de grands admirateurs, mais aussi des ennemis innombrables, acharnés à sa perte. Trop intelligente, trop influente, trop de pouvoir, trop attachée à ses convictions, c'était ce que la politique retombant dans la médiocrité politicienne ne pouvait plus supporter. Il faut que des caractères comme le sien, pour donner leur pleine mesure, aient soit en face d'eux des adversaires à leur mesure, des grands fauves qui rendent les coups, soit au-dessus d'eux des hommes d'État solides, capables de leur résister sans perdre leur estime. Il leur faut en face des Chaban ou des Mitterrand et, au-dessus, des de Gaulle ou des Pompidou, comme il fallait un Richelieu au père Joseph, ce capucin pour lequel on inventa l'expression «éminence grise». Titre dont on l'affubla, elle aussi, bien qu'il n'y eût dans sa personnalité rien de gris.


Sa cause à elle, c'était la France. Ce mot, dans sa bouche, ne s'expliquait pas. Il se ressentait.

Comme dans la bouche du Général. Comme dans la bouche de ceux qui avaient risqué leur vie pour elle. À la Libération, elle avait 10 ans. Elle avait vécu enfant l'effondrement de 1940 et l'Occupation. Mais elle disait «la France» comme les anciens de la France libre et de la Résistance. Elle faisait partie de ces gens qui, lorsqu'ils prononcent ce nom, me font penser à la phrase de Malraux sur les résistants qui «se battaient pour cette fierté mystérieuse dont ils ne savaient qu'une chose, c'est qu'à leurs yeux la France l'avait perdue». Non, pas besoin d'explication, on savait de quoi elle parlait, et ses adversaires irréductibles étaient précisément ceux qui ne pouvaient pas le comprendre. Elle y rangeait la gauche internationaliste, le centre européiste, la droite orléaniste et les libéraux atlantistes, lesquels étaient tous à ses yeux toujours prêts à lâcher quelque chose de la France. On la décrit aujourd'hui comme une représentante de la droite conservatrice, étiquette bien réductrice pour un tel personnage et qui témoigne qu'elle avait raison de se battre avec autant de force contre le risque qu'un jour ce pour quoi elle se battait devienne incompréhensible à la plus grande partie du monde politique et médiatique.


En décembre 1978, avec Pierre Juillet, son complice de toujours, elle fit signer à Jacques Chirac, sur son lit d'hôpital, l'appel de Cochin contre les menaces que ferait peser sur la nation une construction européenne qui s'engagerait, par un choix dissimulé au peuple, sur une voie fédérale. Cet appel, dont on n'a retenu, hélas qu'une phrase sur le parti de l'étranger, quand on le relit aujourd'hui, nous raconte exactement ce qu'ont été depuis les dérives qui ont conduit l'Europe dans la situation où elle se trouve maintenant. Il parut à l'époque excessivement alarmiste. Il n'était que lucide. Mais nous sommes beaucoup à ne l'avoir compris que plus tard. Il faudra attendre quatorze ans, au moment décisif de Maastricht, pour qu'une grande voix, celle de Philippe Séguin, sonne de nouveau l'alarme. Le mauvais résultat du RPR aux élections européennes de 1979 fut imputé à l'appel de Cochin et servit de prétexte au congédiement de Marie-France Garaud. Elle se présentera à l'élection présidentielle de 1981 pour que ce qui devait être dit soit dit. Elle sera l'une des âmes du combat contre Maastricht. Elle se fera élire en 1999 sur la liste Pasqua-Villiers. Elle ira siéger à Bruxelles, encore et toujours, pour faire entendre la voix d'une France qui ne veut pas céder sur l'essentiel. Elle continuait à transmettre à tous ceux qui la sollicitaient. Depuis quelques années, sa voix s'était éteinte. Mercredi dernier, ce sont ses yeux qui se sont fermés, comme une ruse de l'histoire, la veille du débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal qui mettait en scène le nouveau monde de la politique. Ce n'est faire injure à personne que de penser que la providence lui aura épargné de voir ce qu'est devenue la politique française comparée à ce qu'elle avait connu, pour le meilleur ou pour le pire. À chacun de juger.


Madame, je crois que vous manquez déjà, même à ceux qui ne vous aimaient pas.


*Henri Guaino est ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l'Élysée (2007-2012), ancien commissaire au plan (1995-1998), ancien chargé de mission auprès de Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale (1993), ancien conseiller auprès de Charles Pasqua (1994-1995), inspirateur de la campagne présidentielle de Jacques Chirac (1995) autour de la «fracture sociale».



C'EST LE CONTRIBUABLE QUI PAIERA - LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ACCORDE L'AIDE JURIDICTIONNELLE AUX CLANDESTINS


Communication du MIL du 3 juin 2024


Tribune de Philippe Fontana* parue dans Le Figaro du 29 mai 2024


Au nom du principe de fraternité, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré, dans une décision du 6 juillet 2018, l'incrimination d'aide à la circulation d'un étranger en séjour irrégulier. La liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national, découlerait de ce principe.


Six ans après, le Conseil pourfend les différences de traitement fondées sur la durée du séjour (décision du 11 avril déniant aux LR l'organisation d'un référendum d'initiative partagée sur l'accès des étrangers aux aides sociales) et, désormais, sur la régularité du séjour d'un étranger en France.


Par une décision du 28 mai 2024, le Conseil a en effet estimé qu'en subordonnant l'octroi de l'aide juridictionnelle au caractère régulier du séjour d'un étranger, la loi du 10 juillet 1991 avait violé la Constitution. Ce texte attribue cette aide financière de l'État, totale ou partielle, en fonction des ressources du demandeur, en l'absence d'une assurance de protection juridique. Quatre salariés en situation irrégulière avaient saisi le Conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir la requalification de leurs contrats précaires en contrats à durée indéterminée. Conformément à la loi de 1991, l'aide juridictionnelle leur avait été refusée, leur situation irrégulière y faisant obstacle. Le Conseil de prud'hommes a transmis leur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation qui a saisi le Conseil constitutionnel.


Pour fonder sa décision, le Conseil s'est une nouvelle fois appuyé sur des dispositions dites du «bloc de constitutionnalité», en l'espèce sur deux articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : son article 6, qui dispose que la loi «doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse» ; et son article 16, aux termes duquel : «toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution». Interprétant «constructivement» une déclaration des droits qui, historiquement, avait une valeur philosophique et non juridiquement contraignante pour le législateur, le Conseil a estimé qu'en privant les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l'aide juridictionnelle «pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît», les dispositions contestées n'assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables. Dès lors, «ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la justice».


Cette décision laisse perplexe car l'irrégularité du séjour d'un étranger ne le dépouille pas de droits. D'abord, parce que le code du travail dispose qu'un étranger embauché sans avoir d'autorisation de travail «est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé au regard des obligations de l'employeur». Ensuite, parce que ce même salarié peut saisir le Conseil de prud'hommes pour obtenir toutes les indemnités légalement dues. L'irrégularité du séjour d'un étranger n'empêche pas l'accès à une juridiction et lui assure la garantie de ses droits au sens de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle ne fait obstacle (et encore pas dans tous les cas) qu'à l'attribution d'une aide sociale.


La décision du 28 mai encourage l'immigration irrégulière en déniant à nouveau à l'État toute autorité pour la sanctionner. Insistons-y : l'aide juridictionnelle, comme son nom l'indique, est une aide sociale. Elle repose sur la solidarité nationale. Déjà, le législateur, seul compétent en la matière, avait prévu quelques exceptions à la condition de régularité de séjour : étrangers mineurs, étrangers victimes ou même auteurs d'infractions, contentieux des étrangers. Obliger l'État (c'est-à-dire le contribuable) à couvrir les frais d'avocat des étrangers qui résident en France au mépris des lois de la République sape une autorité dont nos concitoyens, dans leur grande majorité, s'accordent aujourd'hui à déplorer la déliquescence.


En outre, en ces temps de tension budgétaire et d'efforts de limitation de la dépense publique, les conséquences financières de la décision du 28 mai ne sont pas à négliger. Selon un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2023, les dépenses en cette matière sont passées de 342 millions d'euros en 2017 à 630 millions en 2022 (+ 13 % par an). Les affaires civiles concentrent 60 % de la dépense, le pénal 29 % et le contentieux administratif 11 %. Le ministère de la justice anticipait un budget de 863 millions en 2027. Il devra le revoir à la hausse compte tenu de la chose jugée par un Conseil constitutionnel qui se comporte ici en prescripteur de dépenses publiques.


La décision du 28 mai peut aussi apparaître comme affectée par des a priori moraux, voire idéologiques. D'abord, par les circonstances de la saisine du Conseil. Il suffit de dénombrer les huit associations et syndicats intervenants (GISTI, LDH, CGT, SAF etc.) pour constater que l'étranger en situation irrégulière n'est pas seul. Il dispose même de plus de garanties d'accès à la justice que beaucoup d'autres justiciables. Les syndicats et associations habituellement en pointe dans ce combat suppléent largement toute aide étatique. Ensuite, cette décision présuppose une vision de l'étranger en situation irrégulière (figure compassionnelle du «sans-papier») dans laquelle le «clandestin» est une victime des malheurs du monde et de l'indifférence d'une société qui le reçoit si mal. Celle-ci, pour se racheter, et par devoir humanitaire, doit impérativement le prendre sous son aile. C'est ignorer que nombre de nationaux sont dans une précarité plus grande qu'un étranger en situation irrégulière. Celui-ci a pu s'installer en France, souvent grâce à des réseaux de passeurs, dégageant des profits de 32 milliards de dollars en 2018 selon les estimations de France terre d'asile (FTDA).


Dans cette affaire, les Français n'ont pas voix au chapitre. Le «dialogue des juges» entre le Conseil des Prud'hommes, la Cour de cassation et le Conseil Constitutionnel est fermé au peuple comme à ses représentants élus. Nos concitoyens ne peuvent davantage nourrir l'espoir de corriger la décision du 28 mai 2024, puisque le législateur, en l'état de la Constitution, ne peut aller à l'encontre de la chose jugée rue de Montpensier. Seul un référendum pourrait faire entendre la légitime amertume ressentie par ceux qu'une autorité non élue oblige, sans se soucier de leur consentement, à financer une solidarité subie.


* Philippe Fontana est avocat. Il est l'auteur de «La Vérité sur le droit d'asile» (Éditions de l'Observatoire, 2023).