CP20230511

Mouvement Initiative et Liberté

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Une communication du MIL

INTERVIEW DE LAURENT WAUQUIEZ DANS LE POINT


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Vous regrettez votre silence lors du débat sur les retraites ?

Pas du tout. J’ai choisi de prendre du recul, cela ne vaut pas que pour les retraites, mais plus largement, car je pense qu’il faut qu’on remette tout à plat, qu’on réinvente tout. On ne pourra pas le faire en étant pris dans le tambour de la machine à laver de l’actualité. Regardez ce qu’est devenue la politique, l’effondrement abyssal du niveau du débat. Nous sommes englués, comme jamais, dans une myopie politicienne, où nul ne produit plus de vision, alors que le pays traverse une crise majeure. Rien de positif ne peut sortir du brouhaha quotidien. Dans cet univers politique qui s’affaisse, nous avons le devoir de proposer autre chose. Pour autant, je ne me suis pas défilé sur les retraites. J’ai clairement donné ma position en disant que, au vu de la situation démographique, on ne devait pas s’opposer à cette réforme, même si une autre réforme était possible.

Laquelle : paramétrique ou systémique ? Avec une part de capitalisation ?

Je pense à une approche totalement neuve. La réforme du gouvernement encore une fois, je pense que nous ne devions pas nous y opposer - est une réforme du XXe siècle, selon le système de Beveridge : une même loi d’airain pour tous à 64 ans, sans souplesse ni marge d’adaptation. Ça ne correspond plus à notre société. Les Français veulent choisir et que les règles s’adaptent à leur mode de vie. Pourquoi ne pas offrir la possibilité de partir à la retraite quand ils le souhaitent, en adaptant le niveau de pension en conséquence ? «Je veux partir à la retraite à 55 ans, j’aurai une petite pension ? Ca me va». «Mon boulot me passionne, je veux travailler jusqu’à 70 ans», très bien. «Je suis jeune retraité, je m’ennuie, je veux reprendre une activité dix heures par semaine», pourquoi pas ? Nos règles administratives font tout pour décourager cela. Au nom de quoi impose-t-on la même règle à tout le monde ? Il faudra aussi donner de la souplesse sur la capitalisation, qui ne peut pas être réservée qu’à des catégories comme les fonctionnaires. Ayons l’audace d’être la première Nation à inventer le social du XXIème siècle à l’époque du big-data et du sur mesure.


Pourquoi ne pas l’avoir dit ? Vous auriez contribué à nourrir le débat. La position de la droite était illisible !

Est-ce que, sur cette réforme, le gouvernement aurait dû s’y prendre autrement ? Sûrement. Est-ce que j’aurais préféré que la position de la droite soit plus claire ? Bien sûr. Mais est-ce qu’on pense que cette réforme va permettre le sursaut de la France ? Non. Si on accepte de prendre un peu de recul, on comprend tous que l’avenir du pays ne se résume pas à cette réforme. Je pense, pour ma part, que nous devons réinventer notre modèle social, pas le rafistoler. En 1945, notre pays était un modèle, il avait inventé un système social qui a fait la fierté française. C’est ce modèle qu’il faut repenser. C’est pour cela que je fais le choix d’un peu de silence - ce n’est pas la qualité première des politiques - pour me mettre dans une posture d’écoute plutôt que dans l’agitation du magma politique. Je l’assume, même si ça a pu susciter des interrogations.

Une partie du pays conteste toujours cette réforme, comme si les braises des Gilets jaunes couvaient encore. Quel est le mal qui nous ronge ? Pourquoi on ne fait plus Nation ?

Toutes les démocraties occidentales sont frappées par un même mal profond, ce sentiment de délitement. C’est l’aboutissement de ce que j’appelle l’idéologie de la déconstruction. Le combat à mener est de même nature que celui de Raymond Aron face aux élites aveuglées par la pensée communiste, qui a fait tant de dégâts. Cette idéologie de la déconstruction, qui vient de figures intellectuelles comme Foucault, Bourdieu et Derrida, sévit dans les milieux universitaires, administratifs, médiatiques et politiques avec des conséquences catastrophiques. Elle repose sur l’idée que saboter l’ordre est libérateur. Elle aboutit à l’effondrement de l’autorité, du président de la République comme du professeur. Elle fait l’éloge de la paresse et de la violence. Elle prône la haine de notre culture, la soumission à des minorités agissantes et conduit à ce que la minorité terrorise intellectuellement la majorité. C’est un renversement de tous les repères qui met sur le même plan l’élève méritant et celui qui ne fait rien, le délinquant et le policier, celui qui travaille et celui qui profite. C’est précisément le combat que je mène face aux mairies de Lyon et Grenoble sur le burkini. Quel grand trouble de la pensée que de refuser de voir dans ce vêtement l’instrument d’oppression des femmes tout en prétendant se battre pour les droits des femmes, notamment en Iran. Cette idéologie de la déconstruction des repères ébranle notre pays plus qu’aucun autre, parce que la République française s’est construite sur des principes si bien décrits par l’historienne Mona Ozouf. Nous sommes une République des valeurs, pas des petits intérêts boutiquiers.


Vous parlez même de « décadence » !

Dans cette détresse, il y a un sentiment d’effondrement de nos valeurs qui aboutit à une forme de tristesse. On a perdu la fierté de ce qu’était la laïcité à l’école, le sens de la méritocratie, l’ascenseur social, on s’est égarés dans l’assistanat. S’ajoute à cela, en effet, le sentiment d’une décadence française, la certitude que nous avons perdu quelque chose. Voyez la façon humiliante dont les Comores nous répondent sur la question migratoire et dont les grandes puissances internationales nous traitent ! Voyez l’état de nos services publics ! Les Français acceptaient de payer des impôts mais ils avaient la fierté d’avoir des services publics. Aujourd’hui, on a toujours les impôts mais plus de services publics. Les Français vivent avec cette question angoissante : est-ce une fatalité et peut-on y remédier ? Je suis convaincu que notre pays peut inverser le cours des choses et retrouver un espoir.


Emmanuel Macron a-t-il une part de responsabilité ?

Je suis frappé que celui dont on tressait hier tous les lauriers soit maintenant décrit comme la cause de tous les maux. Bien sûr il a une part de responsabilité. Il va léguer au mieux une France coupée en deux, au pire un pays explosé en archipels. Les Français ne se comprennent plus. Un des enjeux de 2027 sera de porter une promesse de réconciliation, car on ne peut pas danser en permanence au-dessus de la guerre civile. Je suis convaincu qu’il y a encore des causes communes sur lesquelles les Français peuvent se rassembler. Pour autant Emmanuel Macron n’est pas responsable de cette décadence. Il est responsable de ne pas avoir su la corriger. La vraie question n’est pas de savoir s’il est responsable de tous les maux mais de comprendre pourquoi il n’arrive pas à les résoudre, lui comme François Hollande et d’autres avant lui. Pourquoi est-ce que, quinquennat après quinquennat, les politiques n’influent plus sur le cours des choses ? Pourquoi, alors qu’on a eu des ministres de l’Éducation nationale de talent - par exemple Jean-Michel Blanquer - ils n’ont pas enrayé l'effondrement du niveau des élèves ? Malgré les lois qui se succèdent, pourquoi notre système de santé ne cesse de se détériorer ? De même sur la sécurité ou l’immigration. Alors que le ministre de l’Intérieur promettait de bonne foi il y a un an de mettre fin aux rodéos urbains, il n’y a eu aucun changement.


On entend votre diagnostic, mais qu’est-ce qu’on fait, concrètement ?

Il faut aller à la racine du problème pour apporter la réponse et je suis convaincu qu’on peut le faire. Nous traversons une crise d’efficacité, qui provoque une crise de la démocratie. Les Français confient des responsabilités aux politiques lors des élections, mais rien ne bouge. Vous pouvez élire qui vous voulez, rien ne changera tant qu’on ne s’attaquera pas à la cause du mal : la machine française est bloquée car les pilotes ont perdu les commandes. Notre pays s’est ossifié et a perdu sa capacité à se mettre en mouvement. La France, qui était une machine à produire du succès, se retrouve dans une situation comparable à la IVe République ; l’exécutif est en théorie tout-puissant mais est devenu un roi nu, un roi qui danse certes, mais un roi nu.


Qui tient vraiment les commandes ?

Le premier levier que les politiques ont perdu, c’est l’administration. Un État profond s’est constitué avec une administration qui s’est autonomisée du politique, voire politisée avec ses propres objectifs. Les autorités administratives indépendantes sont un monstre juridique. En vingt ans, nous avons multiplié les petites royautés administratives qui ne répondent plus à aucune instruction ! Quand l’Anses (NDLR : Agence nationale de sécurité sanitaire) prend cette décision surréaliste d’interdire un herbicide, elle court le risque de ruiner l’agriculture française et de provoquer potentiellement une famine au Maghreb ! Nous sommes face à une agence qui considère qu’elle n’a plus de comptes à rendre. Nous devons retrouver la belle tradition de l'administration française qui mettait son énergie à ce que les décisions issues du suffrage universel soient mises en œuvre. Pour moi, cela passe par la suppression de la quasi-totalité des autorités indépendantes comme la CNIL (NDLR : Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’Anses ou l’Arcom (NDLR : qui a succédé au CSA). Cette suppression relève d’une simple loi. Nous devons réaffirmer le fait que dans une démocratie, comme l’a décrit Rousseau, c’est la volonté politique exprimée lors du vote qui s’applique, le contrat social, et pas l’administration qui met en œuvre sa propre logique.


Les autorités indépendantes ne sont pas les seules responsables de l’état du pays !

Le second obstacle vient du « coup d’État » organisé par les Cours suprêmes. Je ne parle pas des juges qui font leur travail dans des conditions extrêmement difficiles, mais des Cours suprêmes qui, dans les années 1970 et 80, se sont arrogées le pouvoir d’écarter la loi. Elles ont plus de pouvoir aujourd’hui que des élus choisis par le peuple, alors qu’elles n’ont aucune légitimité démocratique ! Je pense, à la Cour de cassation, au Conseil d’État, à la CEDH (NDLR : Cour européenne des droits de l’homme), à la Cour de justice de l’Union européenne et, en partie, au Conseil constitutionnel. Lorsqu’il contrôle la constitutionnalité des lois, il est dans son rôle. Pas quand il fait de la politique, comme Laurent Fabius, son président, qui exhume un soi-disant principe permettant de s’asseoir sur les règles de la République pour accueillir des étrangers en situation irrégulière. Dans quel principe républicain est-ce écrit ?


Vous voulez supprimer des contre-pouvoirs ?

Mais à force d’avoir mis des contre-pouvoirs, il n’y a plus de pouvoir, c’est pour cela que rien ne change, les Français le voient et en sont exaspérés. Quand les présidents de la République sont élus, ils montent sur le navire et s'aperçoivent qu’il n’y a plus de gouvernail... Voilà ce qu’est devenue la politique. Comment résoudre cela ? En inscrivant dans la Constitution un principe simple imposant que les plus hautes juridictions, à l’exception du Conseil constitutionnel, ne peuvent écarter la loi. Quand le peuple s’est exprimé, la loi qui traduit sa volonté doit s’appliquer. Quand la Cour de cassation vide de leur contenu les lois simplifiant le Code du travail pour faciliter l’embauche, et réintroduit de la lourdeur, ce n’est pas normal. Quand le Conseil d’État accouche d’une jurisprudence qui rend quasi impossible l'exécution de reconduites à la frontière, ce n’est pas normal. Dans l’histoire, aucun pays n'est sorti de la décadence sans changer la façon dont il était dirigé. Quand Octave récupère Rome au bord de la guerre civile, il comprend que l’Empire romain ne pourra pas être piloté avec les institutions de la Cité romaine. Quand Bonaparte récupère la France épuisée par la Terreur, il comprend qu’il ne pourra vivre ni avec le modèle de l’Ancien régime, ni avec le modèle de la Révolution. Nous sommes dans la même situation : tant qu’on ne changera pas la machine, on ne changera rien.


C’est du césarisme !

Non, parce que le césarisme est précisément l’un de nos problèmes. Anatole France l’avait très bien anticipé : le danger est de ne plus avoir d’État en France, mais seulement des administrations. L’État centralisé a longtemps été une machine à produire du succès qui a permis le plan nucléaire, les grands programmes aéronautiques ou la conquête de l'espace. La fierté française était portée par un État centralisé avec des ingénieurs ayant une culture de l’action. Aujourd’hui, l’État centralisé est devenu un État de bureaucrates et de juristes qui produisent des normes, qui s’occupent de tout et donc de rien. On ne peut plus décréter d’en haut ce dont le pays a besoin, décider de tout à trois dans des conciliabules secrets à l’Élysée. Les Français veulent être responsabilisés, écoutés et pas étouffés dans une gangue administrative archaïque. Le niveau central doit se concentrer sur les grandes stratégies - c’était l'esprit initial de la Ve République - et les acteurs locaux sur la mise en œuvre. Laissons faire les préfets, les maires, les élus locaux. Donnons de la souplesse au pays, offrons-lui cette respiration ! De la liberté !


Vous président, vous ne seriez pas Jupiter, en clair ? Déléguer aux territoires, n’est-ce pas courir le risque de dérives clientélistes sur le terrain ?

La vérité, c‘est qu’Emmanuel Macron n’a jamais été Jupiter. À force de vouloir décider de tout, il ne décide plus de rien. À force de s’occuper d’une masse de détails, il est passé à côté de la question énergétique. À force de décider lui-même de tous les chèques gouvernementaux, il est passé à côté de l'effondrement de l'Éducation nationale. Il n'est pas Jupiter parce qu’il n’a pas vu revenir le retour de la menace géopolitique et a laissé notre armée se déliter. Cette façon de conduire le pays est devenue archaïque. L'esprit de la Ve République, avec lequel je veux renouer, c’est un exécutif fort qui se concentre sur les grandes décisions. Le général de Gaulle l’avait compris en 1958 : pour que ça fonctionne, le président ne doit pas être encombré par l’intendance. Tout ce qui relève de la mise en œuvre doit être délégué.


La critique des institutions s’est banalisée. On a entendu récemment Mélenchon parler de « mauvaise République ». Comment revivifier notre démocratie ?

Contester la légitimité du vote comme le fait la Nupes, c’est dangereux. Mais il est tout aussi périlleux de dire aux Français : «De quoi vous plaignez-vous, vous votez une fois tous les cinq ans ! Et comme je ne me représente pas, je ne me sens plus aucun lien avec la volonté des Français». Nous devons trouver une respiration démocratique dans ce pays, pour apaiser les tensions. Je regarde avec attention le système suisse et je pense qu’il faut institutionnaliser chaque année un rendez-vous, inscrit dans la Constitution, avec un référendum automatique. Pourquoi automatique ? Parce que si le référendum est à la discrétion du président, les électeurs ne répondront pas à la question posée mais à celui qui la pose. Et il faut que ces rendez-vous démocratiques portent sur des sujets sur lesquels on a besoin d’entendre le peuple, pas des traités internationaux à la technicité hors d’atteinte : que voulez-vous pour votre école, votre sécurité, votre retraite, votre système de santé ? J’entends d’ici ceux qui diront que les Français ne répondent jamais à la question. Je pense, pour ma part, qu’un peuple devient irresponsable quand on le méprise et qu’il se montre toujours à la hauteur, quand on le consulte, en lui laissant le choix.


Vous ne parlez pas de la dette. Vous président, comment vous vous attaquez au mur des dépenses publiques ?

Comme Président de Région je montre déjà que c’est possible. En sept ans, je n’ai pas fait un euro de dette supplémentaire et j’ai même fait des économies de 15 % sur les dépenses de fonctionnement, sans augmenter une seule taxe régionale. Il n'y a pas de fatalité au gaspillage de l’argent public. À force de «quoi qu’il en coûte» et de discours des ministres à Bercy, on a fini par penser que gérer correctement supposait du sang et des larmes. C’est faux. Les Français, comme les entreprises, gèrent chaque jour leur budget en équilibrant les dépenses et les recettes. Il n’y a que l’État français qui se soit émancipé de ces règles de bonne gestion. Je rappelle qu’en 2010 nous avions la même dette que l’Allemagne ! C’est une habitude récente de faire n’importe quoi avec l’argent public. J’avais mis en garde pendant le Covid : «Ne gaspillez pas l’argent des Français». Oui, il fallait faire les chèques pour sauver l’économie mais en expliquant que «chaque euro doit être utile», pas «quoi qu’il en coûte». Et je suis convaincu que nous redresserons nos finances publiques avec cette règle simple : moins de dépenses d’assistanat, plus de reconnaissance du travail. Je suis confiant. Si on corrige la trajectoire, le redressement peut être beaucoup plus rapide et simple qu’on ne le pense.


Vous êtes bien optimiste ! Les budgets en déséquilibre ne datent pas d’hier…

Oui à la fois très lucide sur le constat et résolument optimiste sur ce que peut être l’avenir. Il est très important pour les Français qui, dans cette période, sont pris par le découragement, que nous refusions de céder à la sinistrose actuelle car je suis convaincu qu’il y a un espoir. C’est l’histoire de notre pays. Relisez L’histoire de France de Jacques Bainville : alors que tout semblait perdu, on va chercher le sursaut. Louis XI parvient à reprendre la main face à Charles Le Téméraire, alors que la France aurait dû être broyée par l’alliance des États bourguignons et de la maison autrichienne. En 1871, on perd l’Alsace-Lorraine, on est à terre et on produit parmi ce qu’il y a de plus beau dans notre histoire : les Impressionnistes, les chemins de fer, la tour Eiffel ...

Notre pays a toujours été capable de se redresser. Il faut le dire aux Français : c’est possible, ne renoncez pas, si on tranche le nœud gordien on se libérera. Mais à condition de poser le bon diagnostic et, pour y parvenir, de prendre du recul.


Vous dites souvent : «Si ce n’est pas moi, ce sera Marine Le Pen»…

Soit on arrive à se poser les bonnes questions pour dénouer les nœuds et à proposer un chemin aux Français, soit ce sera les extrêmes. Je ne pense pas que Marine le Pen soit en soi un problème pour les Français, mais je pense que Marine Le Pen au pouvoir, c’est un problème pour les Français. Ce serait un choix hasardeux et dangereux, parce qu’en termes de compétence elle mènerait le pays au chaos, alors qu’il a besoin de reconstruction et de réconciliation.


Avant d’arriver au pouvoir, tous les candidats ont le bon diagnostic. Mais après…

Le sujet n’est pas seulement le diagnostic, mais comment changer une machine qui est faite pour que rien ne change ! Il faut d’abord remettre le pays en état de marche et ensuite fixer le cap, l’au-delà de la colline, le projet. Pour moi, la question du mérite sera la mère de toutes les batailles. Il faut remettre la reconnaissance du travail et de l’effort au cœur du fonctionnement de la société française. Ce sont des valeurs profondément républicaines, égalitaires, qui ont été trahies par la gauche. C’est ce qui permet au fils d’ouvrier de se dire : «Si je me donne du mal, je peux réussir avec autant de chances que celui qui vient des beaux quartiers de Paris». C’est ce sur quoi s’est bâtie la France en sortant de la société des privilèges. Notre système ne reconnaît plus le mérite ni le travail. Un gamin qui se donne du mal devrait obtenir une bourse. Or, on n’en distribue quasiment plus avant l’université. Quand vous êtes fonctionnaire, que vous vous donniez du mal ou pas, ça n’a aucune incidence sur votre promotion. Les grands clercs m’expliqueront qu’au XXIe siècle, les Français ne veulent plus travailler. Je pense, moi, que les Français n’ont pas perdu le sens du travail, c’est le travail qui a perdu son sens.


La valeur travail a longtemps été le logiciel de la droite. LR a-t-il perdu sa boussole ?

La défense du travail a toujours été dans notre ADN. Je tiens à dire qu’Éric Ciotti fait un travail courageux dans un contexte difficile, car il est très compliqué de reconstruire les Républicains. Il s’y attelle avec courage.


Il s’est senti un peu seul sur les retraites. Ça n'a pas jeté un froid entre vous ?

Le lien qui nous unit est profond et durable. Il est fait d’une amitié qui dans les moments difficiles permet de se dire les choses. Nous partageons la même volonté de préparer le sursaut du pays. Maintenant, je crois que notre famille doit totalement se réinventer, sur la question des services publics par exemple. La droite en a eu pendant longtemps une vision purement comptable et les regarde comme un coût qu’il convient de réduire.

Le sujet aujourd’hui est d’abord de faire en sorte qu’ils fonctionnent ! Je fais quasiment chaque semaine une visite en immersion, sans média ni collaborateur, pour écouter. Je suis allé dans un lycée, où j’ai été abasourdi par le niveau de mathématiques ; j’ai accompagné des pompiers à Meaux ; j’ai vu à Valence des services d’urgence qui n’arrivent plus à faire face ; j’ai été dans une maison de retraite, où j’ai pu mesurer l’épuisement face à des règles administratives qui visent d’abord à protéger ceux qui les édictent ; j’ai accompagné en tournée de nuit les policiers de la BAC, qui m’ont expliqué qu’ils ont instruction de ne plus poursuivre les véhicules qui refusent d’obtempérer. On en est là en France ! Arrêtons de faire croire que ceux qui travaillent dans les services publics sont des privilégiés, des ronds de cuir qui ne feraient pas leur boulot. J’ai surtout vu des gens dévoués mais épuisés par des règles administratives qui ont perdu toute forme de bon sens. Des services publics efficaces sont un atout, la droite doit changer sa façon de les regarder.


Tout en faisant des économies ?

Cette question viendra, mais il faut d’abord que ça marche. Un service public qui coûte mais qui remplit sa mission, ça me va. Je suis prêt à mettre de l’argent dans l’Éducation nationale si, à l’arrivée, les enfants sortent de primaire en sachant lire, écrire et compter.


Faut-il augmenter les profs ?

C’est une question que je me pose très clairement. On ne dépense pas l’argent là où il faudrait. Nous sommes le pays qui a les plus importantes dépenses d’assistanat et l’un de ceux qui paie le moins ses professeurs. Un poste sur cinq environ dans les concours n’est pas pourvu, cela doit nous interpeller. Je pense aussi qu’il faut qu'on régionalise fortement nos services publics. Que l’État fixe les grands principes et les objectifs au niveau national, et que le local s’occupe de la mise en oeuvre.

Ça créerait une inégalité de fait, avec des régions plus riches que d’autres ! C’est le système actuel qui crée l’inégalité. Aujourd'hui, si vous habitez un territoire rural ou Paris, la différence d’espérance de vie est de cinq ans ! On peut corriger les inégalités en donnant plus de moyens aux régions plus pauvres.


Mais ce ne serait plus la « République une et indivisible »…

Mais elle n’existe plus cette République «une et indivisible», on l’a laissé se fragmenter ! Arrêtons de nous gargariser de mots. Je suis allé au lycée des Minguettes : il n’est même plus mixte. Les enseignants m’ont expliqué qu’ils avaient de plus en plus de mal à enseigner la Shoah et que l’Education nationale ne les soutenait pas. C’est en laissant faire les acteurs locaux sur le terrain qu’on pourra reconquérir le terrain perdu.


Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ?

On trouve le meilleur et le pire dans l’IA. Ne sous-estimons pas nos atouts L’IA nous pousse à la créativité et l’esprit gaulois est créatif, il a ce côté insurgé, rebelle. Pourquoi nos ingénieurs réussissent dans la Silicon Valley ? Parce qu'ils ont ce substrat culturel, qu’ils sont habitués à être créatifs, là où l'esprit allemand est dans le process. Nous, Français, ne sommes pas bien dans un pré trop bordé, on aime les chemins de traverse. Je pense que c’est très adapté au défi que représente l’IA. Pour autant, il ne faut pas s’aveugler sur le danger que représente pour nos démocraties le fait de ne plus pouvoir discerner le vrai du faux. Le devoir du politique est donc de fixer des limites. Asimov avait bien anticipé l’IA avec sa loi sur les robots ! Mettons en place une régulation internationale, qui relève à mon sens de l’ONU, autour de quelques règles simples : si un contenu a été créé par une IA, on a le droit de le savoir ; de même, ChatGPT est fascinant mais s’assoit sur tous les droits d'auteur ! C’est une compétition où l’Europe doit être au rendez-vous. Sans une France en ordre de marche, nous subirons.


Qu’avez-vous appris des épreuves que vous avez traversées ? Ça vous a changé ?

Oui, j'ai connu des échecs. Oui, j’ai pris des cicatrices. J’ai appris ce qu’est la solitude de l’échec. J’ai appris à me remettre en question, et ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai appris l'importance de l’écoute et de l’humilité. C’est fondamental quand on veut s’occuper de la destinée d’un pays. En politique l’ambition n’est pas un gros mot mais ça ne doit pas être une ambition autocentrée où le seul objectif est de monter les marches de l’escalier, en oubliant pourquoi on fait de la politique. Des présidents qui ont comblé leur ego en étant élus à l’Élysée, on en a sur toutes les étagères de notre histoire. Des présidents qui ont inversé le cours des choses, c’est plus rare !


Vous avec un modèle ?

Georges Pompidou. Comme De Gaulle, c’était des habiles politiques mais il n’oubliait jamais la fin ultime : le redressement du pays. C’est mon unique détermination aujourd’hui. J’ai été porte-parole du gouvernement et je me suis laissé intoxiquer un temps par cette facilité qui consiste à penser qu’en sortant une petite phrase, en faisant le buzz, on remplit sa mission. Comme président de région, je suis hanté par l’obsession de faire. C’est important pour moi que les Français puissent se dire : «Il n'a pas toujours réussi mais il s’est remis en question, il a avancé et, dans sa région, il est capable de faire travailler des gens ensemble et d’atteindre des résultats», nous l’avons fait au moment du COVID, nous le faisons en ce moment où près de la moitié des projets de relocalisation industrielle en France se font dans notre région. Pour leur avenir, les Français voudront de l'expérience, car ils ont vu les limites d’un Président de la République auquel il aura sans doute manqué d’avoir appris en gravissant les échelons petit à petit.


Quel est votre plus grand regret ?

Je me suis, par moments, laissé abîmer, entraîner vers le bas par une politique médiocre, par l'affrontement politicien et le jeu des petites phrases. C’est une erreur d’aller toujours plus loin dans le siphon médiatique, de suivre la vague de la mode du moment. Parmi les choses que m’a apprises Nicolas Sarkozy, il y a cette leçon : «Les Français ne veulent pas des politiques qui répètent ce qui se dit, mais des politiques qui sont capables d’interpréter ce qu’il faut faire».


C’est le procès en insincérité qui vous est souvent fait…

Bien sûr que parfois j’ai pu faire preuve d’impulsivité ; bien sûr que ma façon de dire, un peu directe, n’est pas toujours parfaitement ripolinée mais sur mes convictions chacun peut juger de ma constance. J’ai dénoncé le cancer de l’assistanat il y a quinze ans. Bien de ceux qui disent la même chose aujourd’hui me faisaient alors des leçons de morale. Il y a neuf ans j’ai écrit un livre sur l’Europe où j’alertais sur le danger d’une crise énergétique majeure. J'ai consacré très tôt un livre aux classes moyennes. J'ai expliqué dans votre journal qu’on aurait besoin d’un protectionnisme européen. Que n’ai-je pas entendu… Je n’ai pas changé d'avis. Quand Macron va voir Biden sur le protectionnisme américain, il lui répond : «Mais faites donc pareil !».


C’est ce que vous appelez « la fin de la mondialisation naïve » ?

Nous sommes à un tournant historique majeur. On nous a vendu le rêve de la mondialisation heureuse, du village global sans frontières, sans guerre, avec des mégalopoles connectées entre elles, sans usines, sans se soucier de savoir où l’on produisait. Ce modèle est mort. C’est la fin de la fin de l'histoire, pour citer Fukuyama. Le Covid, puis le conflit en Ukraine et la crise énergétique, nous ont montré quel point il était dangereux de dépendre des autres. La mondialisation n‘est pas heureuse, c’est une compétition entre Nations dans laquelle, par naïveté, nous avons sacrifié nos intérêts et notre souveraineté. Nous devons trouver un modèle alternatif qui permette à la France de défendre ses intérêts dans cette compétition en reconstruisant son tissu économique, en relocalisant la production là où sont les talents : dans nos territoires. Construisons une France des régions heureuses. C’est le modèle vertueux qui réussit dans le monde : au Texas, en Bavière, en Lombardie, en Flandre. La spirale pernicieuse dans laquelle nous sommes peut s'inverser. Je veux adresser ce message au pays : on doit redonner au pays dans sa profondeur un avenir et sa dignité.


Vous ne mettez rien au crédit d’Emmanuel Macron ?

Vous l’avez compris, je ne suis pas dans une posture de critique politicienne, parce que ça ne répondra pas à nos problèmes. Bien sûr qu’il y a eu des choses utiles : la baisse du chômage, le redressement de l’apprentissage, un discours pro-business pour éviter que ceux qui réussissent quittent la France. Je ne dirais pas que « Macron, c’est la catastrophe ». Il a réussi des choses, mais il n’a pas enrayé la décadence. Et c’est notre défi.


A-t-il restauré l’image de notre pays dans le monde ?

Soyons justes : Emmanuel Macron a réussi à incarner la France à l'international. Il a donné une impulsion au niveau européen, il a porté une ambition, des idées. Il ne nous a pas fait honte, contrairement parfois à son prédécesseur. Mais le poids de la France a continué à s’affaiblir.


Vous vous êtes rendu fin mars en Arménie...

Et je veux pousser un cri d’alarme. Il se joue avec ce conflit un drame de la même nature potentiellement que la crise ukrainienne, qu’on laisse se dérouler en silence dans l’hypocrisie internationale. Une partie de la communauté arménienne est prisonnière d’un blocus perpétré par un dictateur, Ilham Aliev, qui a pour but de relancer le génocide commis en 1915 en exterminant les Arméniens. Je me suis rendu devant le corridor de Latchine. Près de 120 000 personnes sont bloquées dans le territoire d’Artsakh, au mépris des règles internationales. L'Azerbaïdjan occupe plus de 150 km2 d’un pays souverain. C’est extrêmement grave. La France a le devoir d’intervenir. Je demande au président Macron d’organiser un convoi international sous l’égide de la France pour acheminer de l’aide aux familles d’Artsakh et mettre fin à ce blocus. N’oublions pas que, lorsque nous étions sous le joug des nazis, les Arméniens réfugiés en France, qui n’avaient même pas la nationalité française, ont pris les armes pour nous défendre. Défendre l'Arménie, c’est défendre plus que l’Arménie, c’est lutter contre la barbarie.


Que répondez-vous aux jeunes générations qui parlent d’écologie et de décroissance ?

Quand je pense à mes enfants, ça me révolte de me dire qu’on leur fait peser un tel poids sur les épaules. Certains jeunes en viennent à penser que, pour agir pour la planète, il ne faut pas avoir d’enfants. Quelle tristesse ! Je crois à une écologie positive, une écologie de l’enracinement. Si vous voulez protéger notre planète, la première chose à faire c’est d’éviter que les produits que nous consommons aient fait trois fois le tour du globe avant d’arriver chez nous. Une politique écologique en France ce n’est pas de fermer les usines, c’est au contraire produire davantage chez nous et diminuer les importations. La première réponse que nous pouvons apporter au dérèglement climatique, c’est la réindustrialisation de notre pays. C’est aussi cela que j’ai en tête quand je parle de cette ambition de reconstruire une France des régions heureuses.


La guerre en Ukraine nous oblige-t-elle à repenser sérieusement la défense européenne ?

Je continue à croire en la nécessité d’une Europe puissante dans bien des domaines, en particulier pour nous rendre plus forts dans cette compétition qu’est la mondialisation. Mais en matière de défense, la priorité absolue, c’est de doter notre armée des moyens dont elle a besoin pour continuer à assurer notre protection.